3 QUESTIONS A GUILLAUME JOSSE ( Matinale « Comment associer les habitants des quartiers précaires à l’accès aux services essentiels ? » )

Plus de 90% de la croissance urbaine est aujourd’hui concentrée dans les pays en développement. Un tiers de la population des pays les plus vulnérables vit aujourd’hui dans des conditions d’habitat très précaire, ce qui exerce une forte pression sur l’accès aux services essentiels. Dans ces territoires, comment les communautés locales, au premier rang desquelles les habitants eux-mêmes, réinventent-ils l’espace urbain et s’organisent-ils pour pallier l’insuffisance d’infrastructures de base ? Comment travailler avec toutes les parties prenantes pour mettre en place des collaborations gagnantes ?

Dans cette course contre la montre qu’est l’urbanisation effrénée, quelles seraient vos recommandations pour apporter et accélérer la livraison des services essentiels dans des bidonvilles en augmentation constante ?

​Nous avons ici deux pas de temps distincts : le rattrapage et l’anticipation. Le rattrapage, à savoir fournir des services a posteriori, dans des zones déjà urbanisées. Ici la question n’est pas tant technique que politique et sociale. La première décision à prendre est en effet de donner le droit aux habitants de ces quartiers d’avoir accès à des services, même s’ils n’occupent pas la terre selon la règlementation en vigueur. Autrement dit, l’exécutif local doit accepter que cette population ait aussi le statut de citoyen, et donc le droit de rester là où elle vit et de bénéficier de projets publics. Cela n’est pas évident car les réticences sont nombreuses, qu’elles soient politiques (ne pas régulariser une occupation illégale du sol), sociales (pas de « prime aux squatteurs ») ou économiques (le foncier de ces bidonvilles a souvent une forte valeur, objet de convoitise).

L’anticipation, quant à elle, ne peut être mise en oeuvre que par une meilleure maîtrise de l’urbanisation. En effet, la fourniture de services urbains de qualité aux habitants des quartiers précaires ne sera pérenne que si l’on parvient en parallèle à diminuer, sinon supprimer, la création de nouveaux bidonvilles. Sinon, et c’est le cas aujourd’hui, le nombre de nouveaux habitants des bidonvilles sera toujours plus important que le nombre d’habitants enfin desservis. Ceci nécessite l’élaboration et la mise en oeuvre de politiques urbaines très volontaristes, avec des financements associés importants.

Comment contourner l’instabilité politique qui caractérise de nombreux pays en développement et qui freine le développement des services ?​

Ce n’est pas tant l’instabilité politique qui est un frein que la capacité des collectivités locales ou des Etats à mener des politiques publiques urbaines sur le long terme. Imaginer et construire la ville de demain, en y intégrant les zones les plus précaires​​, oblige à penser ​à un horizon de 10 ou 20 ans. Or, ce qui caractérise aujourd’hui les politiques urbaines dans les pays du sud, c’est la vision à court terme. Et ce, pour des raisons diverses : il faut sans cesse répondre aux urgences, prévenir des conflits politiques, anticiper des conflits sociaux… et surtout faire face à un manque cruel de moyens de fonctionnement des administrations. Le sous équipement et le sous financement des villes du sud les empêchent de mener des politiques urbaines de long terme.

La réponse est donc un peu politique (les élus doivent penser le temps long) et beaucoup fonctionnelle, à savoir que seule la construction de compétences et la fourniture de moyens adéquats aux villes du sud leur permettraient de mettre en place les mesures permettant d’inscrire la fourniture de services urbains dans le long terme. ​Il faut, en quelque sorte, avoir les moyens de ses ambitions. 

Ajouté à la question de la volonté politique, le financement fait souvent obstacle. Quels seraient vos préconisations dans ce domaine ?

​Le bon sens nous oblige effectivement à rappeler que les politiques urbaines, particulièrement la fourniture de services à la population, coûtent cher, très cher.​ ​Tant en investissement qu’en fonctionnement. Et ce, quelque soient les solutions techniques, les moyens de recouvrement des fonds… 

Le modèle que nous connaissons dans les pays du Nord est assez simple : l’investissement est payé par un emprunt et le fonctionnement par l’usager ou le contribuable. Dans les villes du Sud l’emprunt est souvent difficile voire inaccessible et les moyens de financer le fonctionnement des services sont dérisoires. C’est en quelque sorte la double peine. Mais les capacités d’emprunt sont directement corrélées aux moyens récurrents de la ville. On ne prête en effet qu’aux villes qui collectent des ressources permettant de rembourser le prêt. Ainsi donc la question des ressources des villes est un sujet clef. 

Pour le débloquer, il faudrait lancer des programmes de renforcement des capacités des villes, notamment en matière de gestion foncière et financière. Les services urbains, par définition, sont collectifs (publics ou privés) et doivent donc, d’une manière ou d’une autre, être payés collectivement. Il faut donc permettre aux institutions qui agissent au nom de la population d’être financées, indépendamment de leur forme juridique. La fiscalité locale, les transferts de l’Etat et le paiement par l’usager sont ainsi des questions essentielles pour enclencher des politiques massives d’amélioration des conditions de vie dans les bidonvilles.

On le sait, un service n’est de qualité et durable que si il est financé dans la durée. Toutes les innovations techniques, tous les montages institutionnels, toutes les organisations locales sont possibles, mais à la condition d’avoir prévu l’équilibre financier de la filière, notamment pour financer la maintenance. 

C’est une question essentielle, difficile, mais que nous aurions tous intérêt à placer en tête des préoccupations de l’agenda urbain mondial.

Guillaume Josse

Directeur du Group Huit et membre de (Re)sources

Voir le contenu de la matinale

Partager cet article

Copier le lien de l'article

Copier