3 QUESTIONS A LAURENCE BRETON MOYET (Débat (Re)sources au Forum Convergences « Accès à l’eau et à l’énergie dans les villes en développement »)

Quels moyens les collectivités des pays en développement peuvent-elles mobiliser pour augmenter leurs recettes à partir de leurs ressources propres ?

Le manque de ressources propres des collectivités locales dans les pays en développement est un frein majeur aux investissements en infrastructures. En effet, les villes peinent à mobiliser les financements nécessaires et ce, dès les phases de préinvestissement (planification et préparation de projets). L’amélioration des ressources propres des villes est donc un enjeu majeur pour leur développement.

Pour augmenter leurs ressources, les villes doivent pouvoir agir sur toutes les composantes de leur budget : les revenus fiscaux (assiette et taux), les recettes de service public, les transferts de fonds des Etats, l’endettement. Pour cela, trois axes d’action doivent être poursuivis :

  • Tout d’abord, les Etats doivent s’engager aux côtés des villes pour soutenir l’amélioration des finances locales. Ils peuvent notamment les aider à renforcer leurs compétences fiscales. Les politiques nationales sectorielles sur l’eau, l’énergie ou la lutte contre le changement climatique doivent, par ailleurs, ré-affirmer le rôle des gouvernements infranationaux dans la gouvernance et la mise en œuvre des actions. Il est également primordial que les processus de décentralisation permettent de vrais transferts de compétences et de moyens de la part des Etats, et engendrent un assouplissement des possibilités pour les collectivités locales de recourir à l’emprunt, aussi bien bancaire qu’obligataire, et tant sur le marché domestique qu’auprès de banques de développement (bailleurs internationaux, régionaux, banques publiques spécialisées).
  • Ensuite, les collectivités locales doivent renforcer leurs capacités techniques et financières, avec l’aide des Etats et des bailleurs internationaux. Un saut qualitatif tant en matière de gestion financière que de capacités de maîtrise d’ouvrage est indispensable pour que les collectivités locales gagnent en crédibilité vis-à-vis des habitants (consentement à l’impôt), des gouvernements nationaux et des bailleurs et investisseurs privés.
  • Enfin, il est nécessaire d’innover pour augmenter les ressources des collectivités locales. En matière d’aménagement et de fiscalité, des pistes telles que la captation de la plus-value foncière et la valorisation des externalités environnementales sont à explorer. L’amélioration de la solvabilité des utilisateurs des services publics peut aussi être améliorée par des mécanismes de pay-as-you-go (abonnements, prépaiements) et de microcrédit.

Plus globalement, l’amélioration de la connaissance de l’état des finances locales à l’échelle mondiale est indispensable pour contribuer au plaidoyer sur le rôle des collectivités locales dans l’agenda post 2015. La création d’un observatoire mondial des finances locales, pour objectiver les écarts entre besoins et capacités, est de ce point de vue essentiel.  Un premier pas sera franchi dans quelques mois avec une étude portée par CGLU, financée par l’AFD et réalisée par l’OCDE permettant un premier panorama des finances locales dans de nombreux pays.

Comment l’AFD a-t-elle évolué dans sa manière de financer ? Quel peut être aujourd’hui le rôle d’une agence bilatérale comme l’AFD dans le financement des infrastructures de base dans les villes en croissance ?

Face aux enjeux que concentrent aujourd’hui les villes, les banques de développement se doivent d’adapter leur offre. L’AFD est plutôt en avance sur ce sujet. Nous disposons par exemple d’une palette d’outils financiers adaptée aux différentes configurations locales : les prêts directs aux collectivités locales ou à leurs opérateurs urbains (avec ou sans garantie de l’Etat) ; les prêts souverains rétrocédés ; les prêts ou lignes de crédits  à des fonds municipaux, banques publiques locales ou banques commerciales.

Afin de mieux structurer et de diversifier l’accès au financement des collectivités locales, l’AFD propose notamment de renforcer les institutions de financement spécialisées (IFS) des collectivités locales, qui permettent de financer un nombre plus important de contreparties, notamment les villes secondaires et de prêter sur des maturités longues.

Au-delà des investissements à proprement parler, le rôle de l’AFD et des bailleurs est donc de :

1/ Travailler avec les Etats pour les encourager à agir pour leurs villes, en particulier les villes secondaires, instaurant un cadre institutionnel et financier adapté.

2/ Travailler avec les villes sur la planification territoriale stratégique, le renforcement de capacités de gestion et d’entretien des infrastructures, la préparation de projets pour permettre des investissements concrets et sur la gouvernance locale.

3/ Réaliser des actions de plaidoyer et de diffusion des bonnes pratiques. C’est pourquoi l’AFD est membre actif de la CCFLA (Alliance Financière pour les Villes et le Climat) depuis sa création il y a un an.

Quelle pression positive l’actualité sur le changement climatique peut-elle exercer sur les financements des infrastructures de services essentiels, sachant que les effets du changement climatique  se font sentir dans les villes et qu’il nécessitera aussi plus de moyens ?

Les villes sont des territoires fortement impactés par les changements climatiques, car leurs morphologies accélèrent les effets : ilots de chaleur liés à l’effet d’albédo ou crues et inondations liées à l’artificialisation des sols sont à titre d’exemple, des effets subis par les villes.

L’accélération de la fréquence des catastrophes naturelles de ces dernières années, supposées liées au changement climatique ou non, ont montré qu’il était indispensable d’investir dans la mise à niveau des infrastructures pour assurer la continuité des services essentiels en cas de choc, et pour réduire les vulnérabilités sur le long terme.

L’adaptation au changement climatique a traditionnellement été le parent pauvre du financement climat, du fait, entre autres, de la difficulté à définir et mesurer de manière tangible la résilience d’un territoire et d’une population.

Il est donc nécessaire de structurer des projets de développement (économique, social) qui ont des co-bénéfices climat pour attirer des financements diversifiés. Par exemple, l’AFD et la CAF ont travaillé avec la ville de Fortaleza au Brésil pour financer un projet de développement urbain intégré qui vise à améliorer l’accès aux services essentiels dans les quartiers défavorisés en promouvant un aménagement résilient au changement climatique.

L’AFD lancera également début 2017 un fonds de préparation de projets à co-bénéfice climatique, dédié aux villes d’Afrique subsaharienne, permettant de les accompagner dans la préparation de projets urbains répondant aux besoins en termes de services essentiels, mais aussi résilients et sobre en carbone.

Pour poursuivre le débat, le blog ID4D (http://ideas4development.org/)

A lire sur ID4D: Adaptation au changement climatique dans les villes : quelles conditions de succès ?

Biographie Laurence Breton-Moyet

Diplomée de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées et Ecole Supérieure de Commerce de Paris (ESCP-EAP).

Ingénieur de formation, Laurence Breton-Moyet travaille depuis 20 ans sur les projets de développement à travers le monde, d’abord pour la banque mondiale puis à EDF avant de rejoindre l’AFD en 2004.

Spécialisée dans la prise en compte des enjeux de développement durable et climatiques dans les projets infrastructures elle a  été nommée au comité de direction de l’AFD en 2014 en tant que responsable du département technique en charge du développement durable, des ressources naturelles, l’agriculture et les infrastructures de l’AFD. Le 3 Juillet 2015, Administrateur de Proparco (filiale de l’AFD).

Laurence Breton-Moyet est nommée Directrice Exécutive des Opérations de l’AFD en juin 2015.

Débat (Re)sources au Forum Mondial Convergences 2016

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