Grande muraille verte : Où en est ce projet pharaonique pour le Sahel ?

AGRICULTURE  8.000 km de long pour 15 de large, de Dakar à Djibouti. C’est dans cette bande traversant l’Afrique que tente de voir le jour, petit bout par petit bout, la Grande muraille verte. Un projet pharaonique que le One planet summit a cherché à accélérer ce lundi

  • La Grande muraille verte est l’une des initiatives phares portées depuis 2005 par l’Union africaine et onze pays du continent. L’idée ? Lutter contre la désertification du Sahel en restaurant 100 millions d’hectares de terres dégradées.
  • L’enjeu est d’améliorer les conditions de vie des populations, mais aussi de lutter contre le changement climatique et de préserver la biodiversité. Si la Grande muraille verte peut se targuer de belles réalisations concrètes, le bilan global reste maigre.
  • Pour tenter d’accélérer sa réalisation, les acteurs présents au One Planet Summit, ce lundi, ont promis d’allouer à la Grande muraille verte 14,3 millions de dollars sur la période 2021-2025. Mais le succès du projet ne dépend pas que des montants investis.

Restaurer 100 millions d’hectares de terres dégradées, séquestrer 250 millions de tonnes de CO2 et créer 10 millions d’emplois verts… Le tout au Sahel, qui traverse l’Afrique d’ouest en est et fait la transition entre le Sahara au nord et les savanes soudaniennes au sud, plus arrosées. « On parle de territoires ruraux parmi les plus vulnérables de la planète », précise Sandra Rullière, de la division agriculture, développement rural et biodiversité à l’ Agence française du développement (AFD).

Cela donne une idée de l’ambition de la Grande muraille verte pour le Sahara et le Sahel, projet phare de l’Union africaine, portée depuis une quinzaine d’années mais dont l’avancée patine. D’où le forum de l’investissement organisé ce lundi matin, en marge du One planet summit, sommet international pour la biodiversité, pour tenter d’accélérer la concrétisation de cette Grande muraille verte.

Mais de quoi parle-t-on exactement ? Qu’est-ce qui a déjà été fait dans le cadre de cette Grande muraille ? Et pourquoi ça ne va pas assez vite ? 20 Minutes fait le point.

Où se situe cette Grande muraille verte ?

L’idée porte sur une bande de 8.000 kilomètres de long, de Dakar, au Sénégal, à Djibouti, pour une quinzaine de kilomètres de large. Elle traverse onze pays et une diversité de paysages. Manon Albagnac, agronome et chargée du programme « Sahel Désertification » de l’ONG Cari, note toutefois des points communs. « Le climat déjà, sec avec une saison des pluies concentrée sur trois mois de l’année. Mais aussi un changement climatique de plus en plus marqué, une nécessité de faire cohabiter agriculture et élevage, source de tensions. » A cela s’ajoute une forte population : « 300 millions d’habitants aujourd’hui, 500 millions prévus en 2050 », indique Rémi Hémeryck, délégué général de SOS Sahel, autre ONG à intervenir dans la région.

Qu’entend-on par Grande muraille verte ?

Il faut tout de suite se sortir de la tête l’idée d’une grande fortification en pierre, à l’image de la Grande muraille de Chine, ou d’une rangée d’arbres qui viserait à stopper l’avancée du Sahara sur le Sahel. « Il a pu y avoir cette idée de créer une grande bande forestière, reprend Rémi Hémeryck. Mais ça ne marche pas ainsi, il n’y a pas un grand front désertique [le Sahara] qui grignote les territoires environnants [le Sahel], si bien que l’Union africaine a revu sa copie. »

L’idée de cette Grande muraille verte est bien de lutter contre la désertification du Sahel. « Mais au sens de sa définition officielle, explique Sandra Rullière. C’est-à-dire la dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et sub-humides sèches. Elle peut être causée par le changement climatique, mais aussi la pression des activités humaines, encore plus lorsque celles-ci s’appuient sur une mauvaise gestion des ressources naturelles. »

Cette Grande muraille verte est alors à voir comme une mosaïque de projets de restauration et de gestion durable des terres dégradées. A la fois agricoles, pastorales, mais aussi forestières. « L’enjeu est d’améliorer les conditions de vie des populations en augmentant la fertilité des terres et, par extension, les rendements des agriculteurs qui les exploitent, reprend la responsable d’équipe projet à l’AFD. Se faisant, on lutte aussi contre le changement climatique en permettant un meilleur stockage du carbone dans les sols et on préserve enfin la biodiversité, en ramenant de la vie dans ces sols dégradés, en améliorant la gestion des forêts… »

Où en est aujourd’hui ce projet ?

Tant Manon Albagnac que Rémi Hémeryck ont des exemples de réalisations concrètes à donner. « Cela passe parfois par des investissements dans des aménagements très simples, comme les zaï et les demi-lunes, techniques culturales qui consistent à quadriller les champs de trous pour que les eaux ne ruissellent plus sur ces terres dégradées, devenues parfois aussi dures que de la roche, mais au contraire s’infiltrent », détaille Manon Albagnac.

« Le zaï a porté ses fruits au Burkina Faso notamment. Cette technique a permis aux agriculteurs burkinabés d’augmenter leurs revenus, de ralentir l’exode rural et de renforcer l’autosuffisance alimentaire du pays, indique le premier rapport d’évaluation sur la Grande muraille verte commandé par la Convention des Nations unies et publié le 7 septembre dernier. Huit pays du Sahel ont maintenant réussi à reproduire cette technique. » « Le Niger a aussi restauré beaucoup de terres grâce à la technique des demi-lunes », ajoute Rémi Hémeryck.

Une fois les terres restaurées, « un autre enjeu est de mettre en place des systèmes agroforestiers qui permettent de diversifier les revenus des agriculteurs tout en aidant à fertiliser les terres, reprend le délégué général de SOS Sahel. Cela passe notamment par la plantation d’acacias dans les champs, ce que fait beaucoup désormais le Tchad. Non seulement, la gomme arabique – fabriquée à partir de la sève des acacias – peut-être récoltée et revendue, mais ces arbres vont contribuer à fixer les sols, leur apportent de l’azote et fertilisent ainsi les cultures. »

Il faudrait aussi citer l’aménagement de brise-vent, des projets de stabilisation de dunes, des plantations d’arbres, des mesures de rétention et de conservation des eaux parmi les réalisations de la Grande muraille verte. Il n’empêche, le bilan global reste maigre. Le rapport d’évaluation recensait 4 millions d’hectares restaurés entre 2011 et 2017 *. On est loin des 100 millions d’hectares de terres à restaurer d’ici à 2030. Mais loin aussi du rythme à tenir de 8,2 millions d’hectares à aménager par an.

Pourquoi ça ne va pas assez vite ?

C’est déjà une question d’investissement. Selon l’Agence panafricaine de la Grande muraille verte, 200 millions de dollars [170 millions d’euros], dont 150 millions provenant de financements étrangers, ont été mobilisés depuis le début de l’initiative. Le rapport d’évaluation estime, lui, entre 36 et 43 milliards de dollars le montant à investir d’ici à 2030 pour remplir les objectifs. Les chefs d’Etats réunis ce lundi au One planet summit ont promis de mobiliser 14,3 milliards de dollars [11,8 milliards d’euros] entre 2021 et 2025 pour accélérer cette Grande muraille, a annoncé Emmanuel Macron sur Twitter.

Mais le succès de la Grande muraille ne dépend pas seulement des montants investis. « Il faut aussi que ces onze Etats africains impliquent davantage les acteurs sur le terrain, les collectivités locales, les organisations professionnelles…, insiste Rémi Hémeryck. Que ce ne soit pas seulement une opération menée du haut vers le bas. » Une lacune que pointe aussi Manon Albagnac : « Ce n’est que si les populations locales s’approprient les projets que ceux-ci deviennent durables, dit-elle. Ça ne servira à rien de planter un arbre s’il n’y a personne derrière pour s’en occuper. C’est tout le problème : dans les 4 millions d’hectares qu’on dit réhabilités dans le cadre de la Grande muraille verte, certains ne le sont déjà plus aujourd’hui. »

Fabrice Pouliquen

Source : 20minutes

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