Sur le lac Victoria, alerte aux dangers de la pollution

Reportage. Jusqu’au 29 mars, un bateau kényan fabriqué à partir de plastique recyclé navigue sur les eaux lacustres, entre Kenya, Tanzanie et Ouganda, pour alerter les populations riveraines sur son niveau de pollution élevé. Enjeu : sauver la biodiversité du plus grand lac d’Afrique, menacée par les déchets et les rejets chimiques de toute la région.

Albane Thirouard, à Kisumu (Kenya), le 16/03/2021

Si le Flipflopi a la forme d’un dhow – un voilier traditionnel kényan –, sa coque multicolore l’empêche de se fondre parmi les nombreuses barques des pêcheurs amarrées sur la plage de Dunga, au bord du lac Victoria. Les carrés de couleurs vives qui habillent l’embarcation sont en fait 30 000 tongs – flip-flop en anglais – trouvées sur les plages de la côte kényane.

Donner une seconde vie aux déchets

Avec le soutien, notamment, de l’ONU, de l’Agence française de développement (AFD) et de l’Union européenne (lire ci-dessous), ce voilier, qui a déjà vogué en 2019 entre les côtes kényanes et Zanzibar, navigue jusqu’au 29 mars, sur les eaux lacustres du Victoria, entre Kenya, Ouganda et Tanzanie, pour sensibiliser les populations riveraines des dangers de la pollution plastique et promouvoir une économie circulaire, en donnant une seconde vie aux déchets. « Depuis le lac Victoria, les déchets plastiques descendent à travers les cours d’eau, comme le Nil, jusqu’à la mer Méditerranée, explique Ali Skanda, capitaine du bateau. On a eu envie de remonter à la source de cette pollution pour y diffuser notre message. »

Plus grande étendue d’eau douce d’Afrique avec 68 100 km 2, le lac Victoria connaît une pollution majeure. Côté kényan, argumente Paul Agwanda, chargé de développement au sein de l’agence kényane de gestion des eaux du lac, « seulement 30 % de la région a accès à un système d’assainissement efficace. Alors les déchets des usines et certaines eaux usées se retrouvent dans le lac. » Quant aux déchets plastiques rejetés sur ses rives, ils se transforment en microplastiques qui altèrent la qualité de l’eau. Un poisson sur cinq y est retrouvé avec des particules de plastique dans le ventre.

Une menace grave pour les pêcheurs

Le lac est aussi affecté par les diverses activités de la région. Les agriculteurs locaux, en particulier, recourent à des fertilisants qui s’y écoulent à la saison des pluies. Ces rejets agricoles participent au développement d’algues qui font baisser le taux d’oxygène dans les eaux du lac, à l’origine de la mort de nombreux poissons par étouffement. En conséquence, 76 % des espèces présentes dans le lac Victoria sont aujourd’hui menacées d’extinction, selon l’Union internationale de conservation de la nature.

Si cette pollution plastique et chimique du lac devient critique pour la biodiversité, elle menace également la pêche, première activité économique de la région. Pour les pêcheurs locaux, les conséquences sont déjà dévastatrices, confie John Otieno, qui exerce à Kisumu depuis neuf ans. Dans ses seaux à moitié vides, certains poissons font à peine dix centimètres, il s’en désespère : « Au début, j’arrivais à revenir avec 20 kg de poissons par jour, aujourd’hui c’est plutôt entre trois et quatre kilos, et surtout, je retrouve beaucoup de plastique dans mes filets. »

Interpeller les autorités locales

L’équipage du Flipflopi, à travers son expédition, compte interpeller les autorités locales des trois pays. Une pétition a notamment été lancée pour les convaincre d’interdire les objets de consommation en plastique à usage unique non-nécessaire, comme les pailles ou les cotons-tiges. « On essaie de nouer des partenariats avec les décideurs locaux pour les impliquer de façon durable, car on ne veut pas être juste les porteurs d’un message venu de l’extérieur », explique Victor Béguerie, responsable de la partie ougandaise de l’expédition. Ce lobbying vert commence à porter ses fruits. Au Kenya, lors du lancement du projet, le gouverneur du comté de Kisumu a annoncé son intention de bannir les plastiques à usage unique.

→ PORTRAIT. Hilda Flavia Nakabuye, pour l’amour du lac Victoria

Alors qu’il vient de larguer les amarres, l’équipage du Flipflopi espère que les trois pays prendront à terme de telles mesures. « Nous militons pour un consensus au niveau régional, crucial pour la sauvegarde à long terme du lac Victoria, plaide Victor Béguerie. Si l’on interdit les plastiques au Kenya mais pas en Ouganda ou Tanzanie, ils vont de toute façon se retrouver plus tard côté kényan, cela a peu de sens. »

—————

Le Flipflopi, 10 tonnes de déchets plastiques recyclés

Le Flipflopi est le premier voilier au monde fabriqué en plastiques recyclés. Long de 9 mètres, il a été confectionné à partir de 10 tonnes de déchets plastiques collectés lors des séances de nettoyages des plages, situées le long de la côte kényane.

L’expédition a commencé le 4 mars et elle doit durer trois semaines. Au programme, 21 escales et 895 kilomètres de navigation. Son équipage est composé d’une quinzaine de personnes dont trois Toulousains.

Associée à la campagne pour des océans propres du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), l’initiative est aussi soutenue par les gouvernements du Kenya, de l’Ouganda et de la Tanzanie, par l’Union européenne, l’AFD, et le Royaume-Uni.

Source : La Croix

Partager cet article

Copier le lien de l'article

Copier