SYNTHÈSE DE LA MATINALE « ET SI LE DIGITAL ÉTAIT L’AVENIR DE LA GESTION DES DÉCHETS DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT ? »

08/12/2017 – 8 décembre au Collège des Bernardins

Les pays en développement et émergents sont souvent confrontées à des situations anarchiques en matière de collecte et de traitement de leurs déchets. Cependant ces déchets recèlent des ressources pour les populations.Une grande partie du recyclage est assurée par les habitants eux-mêmes à la recherche de précieux matériaux, ce qui place le secteur dit « informel » au premier rang des acteurs de la collecte et du recyclage dans ces territoires.

La récupération et la réutilisation des déchets, si elles sont une question de survie pour les populations, attestent aussi d’une économie circulaire intuitive et auto-organisée mais sous-optimisée pour ses bénéficiaires. Le numérique offre la possibilité d’améliorer les pratiques existantes en structurant la mise en relation opérationnelle entre les différents acteurs de la filière (producteurs, collecteurs et clients). Les modèles de plateformes d’intermédiation digitale se multiplient en Asie ou en Afrique mais peinent, pour nombre d’entre elles, à se développer à grande échelle du fait entre autres de l’absence de la puissance politique mais aussi de la nécessaire structuration et professionnalisation du secteur.

Comment la filière déchets peut-elle tirer profit du digital pour créer de la valeur économique tout en répondant aux situations d’accumulation de déchets dans ces pays ? En quoi ces stratégies informelles constituent-elles une réponse à l’absence de solutions organisées par les pouvoirs publics ? Quelles nouvelles interactions entre les acteurs publics, privés et informels ? Ces nouvelles pratiques peuvent-elles inspirer les pays développés ?   Débat avec Mathilde Martin-Moreau, consultante pour le cabinet Azao, spécialisé dans les stratégies d’accessibilité au marché « Bottom of the Pyramid », Pascal Peslerbe, directeur adjoint 2EI – pôle innovation de Veolia.Débat animé par Tatiana Thieme, chercheure anthropologue et professeure à UCL (University of London) Et le témoignage vidéo de Siddharth Hande, fondateur de la start up Kabbadiwala Connect en Inde.

Synthèse des échangesDurant la 2ème moitié du XXème siècle, la production mondiale de déchets devient massive, en raison de la prévalence d’une économie linéaire : exploiter, fabriquer, jeter.  Elle est aujourd’hui marquée par trois faits majeurs : l’utilisation courante du plastique et de matériaux non biodégradables (1 million de bouteilles en plastique sont vendues chaque minute dans le monde), l’augmentation de la population mondiale (9,8 milliards d’êtres humains sur terre en 2050) et l’urbanisation galopante, en particulier dans les pays en développement. Dans ces pays, la gestion des déchets est très largement dépendante du secteur informel. Comment, dans ces conditions, le digital peut-il rapprocher producteurs et collecteurs des déchets et permettre une valorisation de la filière ?

Le rôle clé du secteur informel dans la gestion des déchets

La gestion des déchets dans les pays en développement est très largement prise en charge par l’économie informelle. Dans ces pays, l’on estime qu’entre 50% et 100% des déchets sont traités par les collecteurs informels. C’est le cas à Nairobi, par exemple, où 88 % des déchets sont ramassés par des réseaux de waste pickers (collecteurs de déchets), dont c’est la principale source de revenus. Le besoin de prolonger la vie des matériaux a conduit les habitants des quartiers informels à mettre en place une véritable économie circulaire. Car dans les bidonvilles, tout se récupère, se répare et se transforme. Les déchets sont des ressources, le tri et la réutilisation de simples étapes dans la vie d’un objet.

L’émergence de ces acteurs informels est aussi liée à l’incapacité du secteur public à répondre aux besoins des populations en matière de collecte de déchets. Certes, leurs conditions de travail sont mauvaises (manque d’hygiène, pas d’équipements de protection, charges lourdes, manipulation de produits dangereux…), leurs rémunérations faibles – car souvent calculées (mais pas toujours) sur la seule base de l’apport de déchets recyclables et non sur l’utilité du service de collecte rendu –, et leur activité parfois menacée par des politiques de modernisation, la police ou les mafias locales. Ils mènent toutefois une véritable mission de service public et participent à la mise en œuvre de boucles d’économie circulaires en remettant dans le circuit de productions , métaux, cartons et plastiques.

L’optimisation des services informels

Ces services informels, non seulement utiles mais aussi organisés, ont une rationalité économique. L’objectif n’est donc pas de les remplacer, mais de les optimiser et les valoriser. Les coûts de coordination de ces services sont en effet très élevés et l’information inégalement partagée : un collecteur de déchets peut ainsi sillonner les quartiers d’une ville sans aucune certitude de trouver des déchets. Dans ce contexte, le digital offre d’indéniables progrès. Ces dernières années, plusieurs plateformes destinées à mettre en relation les producteurs de déchets et les réseaux de collecteurs ont été, avec plus ou moins de succès, développées par des start-up. À Bangalore, où 90 % des déchets finissent dans des décharges à ciel ouvert, la plateforme numérique développée par la start-up I Got Garbage permet aux particuliers de demander qu’un collecteur vienne collecter leurs déchets. Toujours en Inde, Kabadiwalla Connect, à Chennai, développe des applications pour aider à rationaliser la collecte des déchets. Elle organise notamment une bourse d’achat puis développe un modèle opérationnel low cost de sur tri des matières.

Les apports des plateformes digitales 

Pour être efficaces, ces plateformes doivent permettre d’identifier les acteurs du secteur informel, de mobiliser et de fidéliser les collecteurs, et de mieux coordonner les opérations sur le terrain. À Hyderabad, la start-up Banyan Nation a ainsi réalisé une cartographie des kabadiwalla, intermédiaires qui achètent les déchets aux collecteurs pour les revendre ensuite. I Got Garbage a, pour sa part, organisé les collecteurs en équipes afin qu’ils puissent ramasser plus de déchets et augmenter leur chiffre d’affaires tandis que Kabadiwalla Connect après avoir cartographié les points de collecte des matières recyclables, a développé une application qui permet de vendre en ligne ses matières et d’en organiser le transport.

Pour être utilisées, les plateformes doivent offrir un réel service aux collecteurs qui doivent y trouver un intérêt. Ces plateformes sont viables dans les zones à fortes densités de population et répondent principalement aux problématiques urbaines.

L’engagement du service public pour permettre un changement d’échelle

Toutefois, ces plateformes digitales ne pourront passer à l’échelle sans soutien, notamment du secteur public. Si l’auto-organisation constitue une très bonne source d’inspiration, elle ne peut suffire. Les acteurs publics doivent accepter la nécessité d’intégrer le secteur informel aux projets qu’ils mettent en œuvre, dans l’optique de faire émerger des services publics dits collaboratifs. Beaucoup de start-up sont aujourd’hui dans cette logique de nouer des partenariats avec le secteur public, comme Banyan Nation avec l’Etat indien du Telangana. Aussi, le service public doit réfléchir avec les acteurs privés au système de financement à mettre en place et qui doit être non seulement basé sur la contribution directe des habitants mais aussi une contribution indirecte à travers les systèmes de responsabilité élargie du producteur.

Le rôle que les entreprises privées peuvent jouer

Des entreprises comme Veolia ont aussi une mission de promotion de l’économie circulaire. Dans les pays en développement, elles s’appuient sur la vision qu’ont les acteurs locaux sur les coopérations à mettre en œuvre avec le secteur informel et les autorités organisatrices. Des partenariats peuvent se concrétiser par le biais d’applications digitales. Ces observations de l’existant comme le cas de Kabadiwalla Connect qui après avoir développé des applications, a mis place un centre low cost de sur tri des plastiques, peuvent être utilisées pour transposer l’expérience. C’est en l’occurrence ce que Veolia fait avec Kabadiwalla Connect pour organiser la collecte des bouteilles en plastique à Abidjan en Côte d’Ivoire.

Les grandes entreprises privées peuvent aussi assister les acteurs informels dans leurs relations avec les pouvoirs publics et les industries utilisatrices de déchets collectés tout en ayant un regard commercial  sur l’intégralité de la filière. Les acteurs de la collecte des déchets ne sont pas des philanthropes : ils doivent créer de la valeur et rémunérer leurs salariés comme leurs partenaires. Les solutions de financement de la filière, parmi lesquelles la mise en œuvre du principe du « pollueur-payeur », doivent donc être abordées sans tabou dans les pays en développement. L’objectif est de s’inscrire dans une chaîne de valeur et de faire en sorte que cette valeur augmente pour tous les acteurs de la filière.

Télécharger la synthèse intégrale

VIDÉOS DE L’ÉVÈNEMENT

Interview de Siddarth Hande, Fondateur de Kabadiwalla

Interview des intervenants de la Matinale du 08/12/2017 sur le digital et la gestion des déchets1

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