AFD – « L’Atlas invite à porter un regard nouveau sur l’Afrique »

L’Agence Française de Développement (AFD) vient de sortir un Atlas de l’Afrique pour porter un nouveau regard sur le continent avec des cartes et des analyses. Rima Le Coguic, directrice Afrique de l’AFD, aborde avec nous l’avenir du continent, ses défis et ses voies de développement.

« L’Afrique est le continent le plus vulnérable aux effets du changement climatique »

Continent le moins pollueur, l’Afrique subit pourtant de plein fouet les conséquences du changement climatique. Pourquoi ce paradoxe ? 

L’Afrique est un continent qui émet relativement peu de gaz à effets de serre. Il ne représente ainsi que 3,5% des émissions mondiales de CO2 (en cumul sur la période 1990-2014), alors même qu’il concentre 17% de la population mondiale. Cela s’explique par niveaux encore limités d’émissions liées à la consommation d’énergie, à l’industrialisation ou encore au trafic aérien et routier. L’essentiel des émissions produites par le continent provient donc de l’activité agricole.

Pour autant, l’Afrique est le continent le plus vulnérable aux effets du changement climatique. La température moyenne étant déjà élevée sur le continent, la hausse attendue des températures annuelles (1 à 4 degrés selon les estimations) devrait provoquer des vagues de chaleur exceptionnelles en Afrique du Nord et australe. Les effets du réchauffement climatique pourraient par ailleurs être accentués par les faibles capacités de résilience et d’adaptation de pays.

Face à ce paradoxe climatique, l’Afrique a tout intérêt à s’adapter aux effets du changement climatique afin de garantir la pérennité de son développement au bénéfice des populations. La prise en compte du changement climatique dans les politiques publiques présente aussi une opportunité économique pour le continent : l’Afrique bénéficie d’un potentiel fort en énergies renouvelables, qui reste largement inexploité. Elle a donc également un intérêt à se tourner vers un développement faible en émissions de carbone.

Consciente du défi crucial que le changement climatique revêt pour l’Afrique, l’AFD a fait de l’action climatique sa priorité, en application de l’Accord de Paris. L’activité du Groupe cible en particulier la réduction des vulnérabilités du secteur agricole et des villes, la transition des pays africains vers une énergie verte et la gestion durable des forêts. Pour ce faire, l’AFD, avec ses partenaires, accompagne à la fois les pouvoirs publics, les acteurs financiers et de la recherche en Afrique pour définir, mette en œuvre et financer les trajectoires de développement bas-carbone.

« L’éducation demeure aujourd’hui l’un des principaux leviers d’émancipation des jeunesses africaines »

Est-ce que l’accès à l’éducation reste le plus grand obstacle de la jeunesse africaine ? 

Au préalable, il faut rappeler que l’accès à l’éducation a nettement progressé sur le continent depuis une trentaine d’années : la part des enfants scolarisés à l’école primaire est ainsi passée de 55% en 1990 à 78% en 2018, et ce malgré la forte augmentation du nombre d’enfants. Les Etats africains doivent néanmoins poursuivre leurs efforts en faveur de la scolarisation, puisque le continent concentre encore deux tiers des enfants déscolarisés dans le monde.

Au-delà des progrès en matière de scolarisation, la qualité de l’enseignement reste un enjeu majeur. En Afrique subsaharienne, 88% des enfants et adolescents ne savent pas lire couramment quand ils achèvent le cycle primaire et le premier cycle du secondaire. Par ailleurs, l’accès à l’enseignement supérieur reste extrêmement limité, en particulier pour les enfants des familles les plus pauvres, les filles et les habitants des zones rurales.

L’éducation, socle indispensable de l’autonomie de la personne et d’un apprentissage tout au long de la vie, demeure aujourd’hui l’un des principaux leviers d’émancipation des jeunesses africaines. Pour cela, elle doit être accessible pour tous les enfants et mener à un apprentissage correspondant aux attentes des citoyens et des entreprises.  

L’AFD, conformément aux priorités de l’aide publique au développement française, soutient l’accès équitable à une éducation de base de qualité (préscolaire, primaire, collège). Les besoins subsistent pour accroître et améliorer les capacités d’accueil dans les écoles, c’est pourquoi l’AFD soutient la construction d’infrastructures éducatives dans les régions où l’offre est insuffisante, en veillant à l’efficacité énergétique des bâtiments (ex. les programmes de construction de collèges ruraux en RCI ou dans les banlieues défavorisées de Dakar). Il est également important de promouvoir l’équité dans l’accès et la mise à disposition d’équipements et ressources éducatives, pour que les disparités de genre, de revenu, de territoire, ne soient pas un frein à l’éducation. L’enjeu est surtout de permettre un enseignement de qualité, dispensé par des enseignants compétents, seul à même de réaliser une alphabétisation irréversible, de mener vers une insertion socio-économique durable et de renforcer le lien social. L’accent est mis sur l’accompagnement des acteurs de terrain qui assurent au quotidien le fonctionnement des établissements, et à la consolidation de systèmes éducatifs efficaces et efficients, qui absorbent une grande part des budgets des Etats africains.

« Les femmes africaines sont largement impliquées dans la vie économique »

Le futur en Afrique se déclinera-t-il aussi au féminin ? 

Les femmes africaines sont largement impliquées dans la vie économique. Leur taux de participation au marché du travail s’élève à 55% en moyenne sur le continent, un niveau supérieur à la moyenne mondiale (48%). Elles sont également nombreuses à créer leur entreprise, même si ce dynamisme de l’entreprenariat féminin en Afrique reflète en partie un manque d’opportunités professionnelles salariées.

Ce rôle particulier que les femmes occupent dans l’économie africaine n’empêche pas l’existence d’inégalités entre hommes et femmes dans différents domaines – éducation, santé, opportunités économiques ou participation à la vie politique. Ces inégalités sont particulièrement prononcées en Afrique du Nord. La réduction des inégalités de genre constitue un levier majeur des dynamiques de développement africaines et un paramètre clé de la réussite du continent. Certaines réponses concrètes peuvent être apportées à cet enjeu, qui demeure fondamentalement sociétal.

L’AFD accompagne les efforts de réduction des inégalités de genre sur le continent avec des initiatives pour consolider les progrès réalisés en matière de santé et d’éducation, contribuer aux dynamiques d’autonomisation économique – notamment l’accès à l’emploi décent et à un entrepreneuriat moins subi -, accompagner l’intégration de la dimension genre dans les politiques publiques et contribuer à l’amélioration des capacités de résilience des femmes face aux crises.

« Les villes africaines sont au cœur des problématiques du continent »

Pensez-vous que les villes de demain s’inventent aujourd’hui en Afrique ? 

Reflet d’une urbanisation parmi les plus fortes au monde, les villes africaines connaissent un essor exceptionnel. Situé à 14% en 1950, le taux d’urbanisation de l’Afrique atteint en moyenne plus de 40% en 2015. A horizon 2050, la population urbaine de l’Afrique devrait même être la deuxième en importance au niveau mondial.

Les villes africaines sont au cœur des problématiques du continent. La croissance démographique en Afrique et le changement climatique renforcent très significativement la population des grandes mégalopoles mais aussi des villes secondaires. Ces changements d’échelle sont subis (la surface des capitales double a minima tous les 20 ans) et jusqu’alors peu accompagnés. Les besoins en infrastructure sont exponentiels, l’impact sur le climat et l’environnement très forts entrainant des catastrophes humanitaires lors des épisodes d’inondations.

Les villes africaines qui peuvent témoigner en accéléré des conséquences d’une prise en compte insuffisante de ces sujets, sont aussi celles qui montreront la voie par une nécessaire besoin pour l’atteinte des objectifs de l’accord de Paris et de l’agenda 2030 des ODD. Avec l’appui de ses partenaires, elle va tester des dispositifs de végétalisation des centres urbains, une croissance moins émissive, une forme plus compacte tout développant avec le sens de la solidarité qui les caractérise une prise en compte des habitants les plus démunis et les plus fragiles en réhabilitant les quartiers précaires leur proposant ainsi un mieux- être personnel et une meilleure résilience économique. L’outil numérique sera aussi un formidable outil de diffusion à l’échelle du continent et même au-delà des solutions urbaines développées par les start-up.

Des projets seront sans nul doute réplicables ou constitueront le substrat  d’une réflexion : le développement des lampadaires solaires et de leurs batterie, la transformation de bureaux en logement sociaux (Afrique du sud), le désenclavement de quartiers prioritaires à Madagascar, l’utilisation de matériaux de construction bioclimatiques en Afrique de l’Ouest , l’agriculture péri urbaine et les SIG à destination des exploitants pour valoriser au mieux leur production sur les marchés (Gabon), les terrains de sport en container (Dakar), la lutte contre les maladies hydriques et les transmissions liées aux moustiques d’actualité dans le sud de l’Europe.

Quels sont les leviers qui permettront à l’économie africaine de relever les défis de demain ? 

L’Afrique est confrontée à de nombreux défis, dont la crise liée au Covid-19 est venue souligner le caractère déterminant pour la résilience du continent. Pour faire face à ces défis, l’Afrique doit activer plusieurs leviers. En particulier, ces leviers doivent permettre à l’Afrique de s’inscrire dans une trajectoire permettant de concilier les besoins de court terme et une vision de long terme.

Le premier levier est de faire en sorte que les efforts de relance soient le vecteur d’une transition juste, en restant mobilisé sur les enjeux immédiats liés à la jeunesse, en encourageant l’investissement privé et la création d’emploi et en accélérant la transformation écologique et la réponse au changement climatique.

Le deuxième levier consiste à tirer les leçons de la crise pour accroitre la résilience du continent, à la fois la résilience sanitaire, sociale et économique. Sur le plan sanitaire et social, la crise est venue souligner le besoin de renforcer les systèmes de santé et de protection sociale, ainsi que les infrastructures d’eau et d’assainissement. La résilience économique passe quant à elle par la diversification des économies et l’augmentation du contenu local des produits transformés. Le numérique et l’innovation sont sans doute également des facteurs clés de résilience.

Enfin, le troisième levier porte sur le renforcement du positionnement de l’Afrique dans l’économie mondiale dans un monde post-Covid. Pour y parvenir, le continent pourra s’appuyer sur une accélération de l’intégration régionale – notamment dans le cadre de la ZLECAf – et du lien avec l’Europe.

« Pour changer de regard sur l’Afrique, nous avons souhaité que l’Atlas porte une vision « Tout Afrique » du continent »

Faut-il changer notre regard sur ce continent ? 

C’est effectivement l’objectif de l’Atlas de l’Afrique que nous avons publié. Cet ouvrage invite à porter un regard nouveau sur l’Afrique, sur la façon dont le continent bouleverse les équilibres démographiques mondiaux, poursuit son développement économique et social avec des gains majeurs en matière de gouvernance et d’accès aux services sociaux de base (éducation, santé, eau, énergie, infrastructures, TIC, etc.). Certes, d’importants défis subsistent – à la fois pour réduire la pauvreté et les inégalités sur le continent, accroître la résilience économique et faire face aux conséquences du changement climatique -, mais le continent dispose de nombreux atouts pour relever ces défis.

Pour changer de regard sur l’Afrique, nous avons souhaité que l’Atlas porte une vision « Tout Afrique » du continent, c’est-à-dire une vision qui présente le continent comme un tout sans le couper en deux. Cette vision a par ailleurs été documentée par à un travail statistique unique, permettant de disposer de données à l’échelle du continent et par région, et illustrée par des cartes et des graphiques originaux pour voir le continent en train de se faire. L’Atlas propose également une vision dynamique de l’Afriquequi reflète les transformations à l’œuvre sur le continent bien souvent méconnues. C’est aussi une vision de l’Afrique concrète et réelle telle que vécue au quotidien par les agents de l’AFD. Finalement, ce que propose l’Atlas c’est une vision de l’Afrique réaliste mais pas défaitiste : sans méconnaitre les fragilités du continent, sont aussi exposées les solutions.

Damien Bouhours

Source : Le Petit Journal

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