«Afrique(s) 2020: agenda inédit et crispations politiques». La tribune de ​Patrice Fonlladosa

« La jeunesse a besoin de ses leaders, de ceux qui leur ressemblent et qui sauront entendre leurs attentes et leurs voix », écrit le président du think tank (Re)sources

L’année 2020 est à plusieurs titres inédite et d’exception au regard du dernier demi-siècle, et pas seulement parce qu’une crise sanitaire a progressivement envahi notre quotidien, pays après pays, au point de freiner puis bouleverser sans retour les modèles classiques de développement. En Afrique(s), ce sont les agendas électifs – présidentiels très majoritairement — qui tiennent priorité à la vie des femmes et des hommes.

Près de douze scrutins nationaux se tiendront sur douze mois, dont la moitié en Afrique subsaharienne. Et ce qui pourrait nous apparaître comme une curiosité, vue de notre ancienne Europe institutionnalisée, ce sont les manœuvres et tentatives de certains à vouloir se représenter quitte à effectuer toutes les contorsions constitutionnelles pour habiller un farouche désir de se maintenir au pouvoir. L’appareil législatif se met au service de stratégies de pérennisation intuitu personae.

Pourtant, cette façon de rigidifier l’exercice démocratique se craquelle : l’exemple récent du Mali, après bien d’autres renversements depuis trois ou quatre ans, sonne comme un rappel et un véritable signal d’alarme auprès de ceux qui se prêtent à ces pratiques. Sans parti pris ni leçon à donner, trois facteurs majeurs méritent d’être ici remis en lumière.

Capital démographique. Le premier est le capital démographique et surtout la courbe inédite à l’échelle de l’histoire du monde de la croissance des populations. Selon les projections de l’ONU qui se sont jusqu’alors révélées globalement correctes, la population africaine va être multipliée par trois entre 2020 et la fin du siècle pour dépasser les trois milliards d’habitants. Sur les mêmes études, on constate déjà que 41 % des Africains ont moins de 15 ans, et que le taux de fécondité – le premier au monde — décroît très lentement. Or la jeunesse a besoin de ses leaders, de ceux qui leur ressemblent et qui sauront entendre leurs attentes et leurs voix.

Le second est l’incontournable nécessité de répondre aux besoins de services essentiels des populations : eau, énergie, déchets, santé, éducation… Ce qui permet aux femmes et aux hommes de vivre dans une dignité réelle – sans même parler de richesse. Or ces services sont très largement négligés dans bon nombre de pays d’Afrique(s) avec bien sûr – et c’est heureux — quelques exceptions, le Maroc, le Rwanda, le Ghana… Combien de jeunes filles vont-elles encore chercher de l’eau à des kilomètres, déscolarisées ? Dans des classes surchargées et sous équipées, comment enseigner et permettre à toute une jeunesse d’embrasser l’avenir sans s’aveugler des mirages de « l’ailleurs » ?

Le troisième est conséquence directe du second : l’insécurité et la montée des menaces idéologiques comme « solution » aux populations, notamment au Sahel. Lorsqu’une minuscule fraction de population se baigne au sang du terrorisme sous couvert d’une « vie d’après » si commode, c’est pour la plupart non pas d’une croyance partagée mais à la base d’un désespoir et d’un avenir en impasse qui autorise tous les recrutements « pour faire changer les choses ». Ce dernier facteur est profondément et intrinsèquement mortifère.

L’avenir des Afrique(s) va se jouer sur les 5 ans à venir et l’Europe, la France, ont un rôle à jouer : celui de l’allié de la jeunesse, des entrepreneurs, des grands et des petits projets qui contribuent au bien-être des populations, en ville et sur les territoires. L’année 2020 est un tournant pour les Afrique(s).

Patrice Fonlladosa est président think tank (Re)sources et président Afrique du Centre d’étude et de prospective stratégique (CEPS).

Source : L’opinion

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