Barrage de la Renaissance en Afrique : « Il faut une gestion régionale concertée »

Entretien Le Conseil de sécurité de l’ONU doit se réunir jeudi 8 juillet afin d’évoquer le contentieux autour du barrage de la Renaissance, opposant l’Éthiopie à ses voisins égyptiens et soudanais. Franck Galland, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique, analyse la portée de cette rencontre.

La Croix : L’Éthiopie aurait débuté la seconde phase du remplissage du barrage de la Renaissance (GERD). Que représente ce barrage pour le pays ?

Franck Galland : Le fait que ce barrage soit nommé Renaissance n’est pas anodin, c’est e plus grand barrage d’Afrique. L’Éthiopie affirme qu’il est vital pour répondre à la fois aux besoins énergétiques de ses 110 millions d’habitants et à ses ambitions économiques. Il faut rappeler qu’avant ses diverses crises (Covid-19 et rébellion au Tigré) le pays avait une croissance à deux chiffres. Ses ambitions sont grandes et ce barrage s’inscrit dans cette quête de puissance.

Le ministre égyptien de l’irrigation, Mohamed Abdel Aty, a déclaré lundi « rejeter fermement (cette) mesure unilatérale ». Les Égyptiens et les Soudanais expriment de nombreuses craintes vis-à-vis du remplissage de ce barrage. Que redoutent-ils ?

F. G. : L’été dernier, la première phase de remplissage, qui recouvrait uniquement 3,5 milliards de mètres cubes sur les 74 milliards de mètres cubes que prévoit ce barrage, avait provoqué la colère du Soudan, constatant d’importantes baisses de débit du Nil. Cette seconde phase de remplissage concerne cette fois 13,5 milliards de mètres cubes et risque une nouvelle fois d’avoir des effets notoires.

Pour l’Égypte, les enjeux sont aussi considérables. 95 % de sa population vit sur les rives du Nil et l’approvisionnement en eau pose un sérieux défi de sécurité alimentaire. D’autant plus que le pays connaît une croissance démographique inédite. Ce barrage aura également des conséquences majeures sur l’agriculture : 80 % des ressources en eau égyptiennes sont utilisées à des fins agricoles. Il est enfin une menace pour son propre barrage d’Assouan en aval. Pour toutes ces raisons, l’Égypte et le Soudan appellent à une gestion concertée du barrage.

Le Conseil de sécurité de l’ONU, saisi par les pays arabes par l’intermédiaire de la Tunisie, étudiera une proposition de résolution qui prévoit de « reprendre leurs négociations (…) afin de finaliser, sous six mois, le texte d’un accord contraignant sur le remplissage et la gestion du barrage ». Cette réunion peut-elle aider à démêler le conflit ?

F. G. : C’est très bien que ce Conseil de sécurité se saisisse de la question de l’eau. Espérons qu’il aura une position exigeante et incitera les parties prenantes à se mettre autour d’une table. L’accord de Washington initié en février 2020 sur cette question pourrait par exemple être une base de discussion en vue de ratifier un accord.

D’autres médiateurs peuvent-ils être envisagés ?

F. G. : Ce dossier inquiète tout le monde. Plusieurs médiateurs ont déjà tenté de trouver une issu à ce contentieux. Il y a eu d’abord la tentative de Donald Trump qui s’était saisi du dossier en 2019. Mais elle n’a pas été couronnée de succès, l’Éthiopie ayant refusé de signer l’accord. L’Union africaine a elle aussi tenté une résolution au conflit, là encore en vain. La Turquie cherche à s’impliquer également. Mais la seule nation qui devrait peut-être pouvoir jouer un rôle est la Chine, Pékin étant un partenaire et un acteur stratégique incontestable dans les trois pays concernés.

Une guerre du Nil est-elle possible si aucun accord n’est trouvé ?

F. G. : Cette affaire peut évidemment déboucher sur une vraie crise. Il y a déjà une guerre d’information sur l’eau, via les réseaux sociaux et via la propagande gouvernementale. Ces surenchères médiatiques inquiètent. On n’est pas à l’abri d’une escalade diplomatique voire sécuritaire. D’autant que le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed est en quête de légitimité et qu’il peut très bien utiliser le contentieux autour de ce barrage pour mobiliser son peuple derrière lui dans une logique populiste, ce qui est dangereux.

Source : La Croix

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