Covid-19, changement climatique… Le pétrole entame-t-il son déclin ?

En 2020, l’industrie pétrolière a connu la pire année de son histoire. Mais faut-il définitivement enterrer l’or noir ? La réponse, bien sûr, ne coule pas de source. 

Pour une ressource cachée dans les profondeurs, jamais le pétrole n’avait été si souvent associé dans la presse à l’adjectif « abyssal ». Difficile à croire, en voyant les cours du pétrole enregistrer une nouvelle hausse mardi 9 février, que BP, le géant britannique des hydrocarbures, a enregistré en 2020 une perte nette de plus de 20 milliards de dollars. L’Américain ExxonMobil vient lui aussi de subir la plus lourde perte annuelle de son histoire : environ 22,4 milliards de dollars. Alors que les compagnies pétrolières dressent les unes après les autres le bilan d’une année au fond du trou, la récente remontée du prix du baril ne saurait masquer la réalité : rien ne va plus dans l’univers impitoyable de l’or noir. 

Pulvérisée par la récession mondiale liée à la pandémie de Covid-19, la demande en pétrole a plongé, entraînant avec elle le prix du baril de brut. Pointant notamment son incompatibilité avec les objectifs de lutte contre le changement climatique fixés par l’accord de Paris, les investisseurs désertent le secteur des énergies fossiles, principales responsables des gaz à effet de serre. Pour couronner le tout, Joe Biden, fraîchement élu président des Etats-Unis, a mis un coup d’arrêt au projet d’oléoduc Keystone XL, tandis qu’en Europe, la production d’électricité issue d’énergies renouvelables a dépassé pour la première fois la production issue d’énergies fossiles, selon un rapport publié le 25 janvier par un groupe de réflexion allemand*. Faut-il voir dans ces secousses le début de la fin de la suprématie pétrolière ? 

« Le pétrole reste l’énergie numéro un »

Télétravail, secteur aérien suspendu, usines au ralenti, consommation en berne… En 2020, la consommation mondiale de pétrole a baissé d’environ 9%. « Du jamais-vu, relève Olivier Lejeune, analyste à l’Agence internationale de l’énergie. Hormis pendant les années 2008 et 2009, marquées par la crise financière, la demande en pétrole augmente en continu depuis les années 1940. Jusqu’à 2019, elle augmentait encore chaque année de 1 ou 2%, tirée par les besoins des pays émergents. »

Ainsi, la pandémie marque davantage une parenthèse qu’une rupture de cette tendance : « Tout porte à croire que l’économie reprendra son cours dans la deuxième moitié de 2021. Bien sûr, il y a de nombreuses inconnues, mais sous réserve que les vaccins soient efficaces et que le Covid recule, l’aviation va reprendre, l’économie va tourner à nouveau et, mécaniquement, la demande en pétrole va augmenter, au moins dans un premier temps », poursuit Olivier Lejeune, balayant l’hypothèse d’un abandon du pétrole à court terme, en dépit des efforts affichés pour décarboner l’énergie. 

« Il faut faire attention à ne pas extrapoler l’année 2020, qui est une année absolument exceptionnelle au sens le plus fort du terme », confirme Francis Perrin, spécialiste des énergies à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Des observateurs anticipent même un retour au niveau de 2019 dès 2022, repoussant la révolution énergétique au « moyen et long terme ». « La fin du pétrole n’est pas pour tout de suite, même si son déclin relatif est déjà entamé, poursuit-il. Le pétrole reste l’énergie numéro un, même s’il commence à perdre des parts de marché du fait de l’ambition de nombreux pays de faire baisser la part des énergies fossiles dans leur bouquet énergétique. »

« La réalité, c’est que le pétrole est aujourd’hui la seule énergie indispensable dans le monde. On ne sait pas le remplacer massivement et rapidement dans les transports routiers, aériens et maritimes ainsi que dans la pétrochimie. »
Francis Perrin, spécialiste des énergies à franceinfo

Si le secteur automobile a été marqué ces dernières années par l’essor spectaculaire des véhicules électriques dans les pays développés, « le renouvellement du parc devrait prendre au moins 10 à 20 ans », poursuit Olivier Lejeune. Et de toute façon, les besoins énergétiques colossaux des pays en développement assurent au pétrole de garder son titre de première source d’énergie au monde pour les années qui viennent.  

Des investissements en baisse 

Pourtant, il semblerait que le pétrole n’ait plus la cote, y compris chez les groupes pétroliers. BP veut multiplier par 10 ses investissements dans les énergies à faibles émissions carbone d’ici 2030, pour atteindre 5 milliards de dollars par an. ExxonMobil a créé un pôle d’activités consacré aux énergies moins polluantes, tandis que le Français Total multiplie les acquisitions dans le renouvelable. « Ce n’est pas le cas partout, mais, au moins chez les grandes compagnies pétrolières européennes, il existe une vraie stratégie industrielle de diversification de leurs activités et de leur portefeuille, assure Francis Perrin. Dans les années à venir, le monde va consommer de plus en plus d’électricité et, pour les groupes pétroliers, il n’est pas question de laisser ce marché aux seuls électriciens. »

En 2020, les investissements dans le pétrole et le gaz se sont ainsi effondrés de 34%, atteignant leur niveau le plus bas depuis 2004, selon un récent rapport du Forum international de l’énergie, cité par Bloomberg*. Aux Etats-Unis, premier pays producteur de pétrole et fer de lance de l’exploitation du pétrole de schiste, le monsieur environnement de Joe Biden, John Kerry, a lui-même évoqué* l’urgence d’« investir dans des énergies, emplois et technologies propres, plutôt que d’être les prisonniers du passé ». 

« Le risque, c’est que les pétroliers sortent du pétrole… avant les consommateurs », pointe Matthieu Auzanneau, directeur de The Shift Project, un think tank qui creuse la question de la réduction de la dépendance de l’économie aux énergies fossiles.Lui appréhende un « resserrement de l’offre pétrolière faute d’avoir suffisamment de projets industriels permettant de compenser le déclin de la production en mer du Nord, en Afrique, et dans de vieux pays producteurs ».

Un constat partagé par Olivier Lejeune, pour qui « la baisse actuelle des investissements pourrait se traduire par une baisse de l’offre d’ici quatre ou cinq ans ».

Depuis deux, trois ans, cela devient en effet de plus en plus compliqué de financer des puits de pétrole. Il faut que ce soit extrêmement rentable car les investisseurs ont de plus en plus de doutes sur ce secteur-là.
Olivier Lejeune, analyste à l’Agence internationale de l’énergie à franceinfo

Mais, là encore, ce désamour apparent n’augure pas une sortie du pétrole dans les prochaines années, s’accordent les experts sollicités par franceinfo. Olivier Lejeuneestime ainsi que les réserves exploitées par les pays du Golfe permettront d’éviter toute pénurie à court terme. « Eux veulent aller au bout de leurs ressources. Si tout le monde abandonne le pétrole, ces pays seront les derniers à partir », résume-t-il, ajoutant que, si les compagnies européennes se diversifient en investissant dans des énergies décarbonées, « c’est l’argent du pétrole qui leur permet d’investir, et elles comptent bien exploiter au maximum les puits existants ». « Penser que les compagnies pétrolières vont jeter du jour au lendemain le pétrole et le gaz à la poubelle pour ne faire que du renouvelable, c’est prendre ses désirs pour des réalités », tranche Francis Perrin. Car cettebascule attendue vers des énergies plus propres ne suffira pas à répondre à la demande, estime-t-il : « Pas à l’horizon 2025. C’est trop court. » 

Une sortie loin d’être préparée

Dans ces conditions, que nous réserve l’avenir immédiat ? En raison de la demande soutenue, le prix du baril remontera immanquablement avec le retour de l’activité économique. « Je ne pense pas qu’on puisse revenir tout de suite au prix de 100 dollars le baril », nuance toutefois Olivier Lejeune. « Si la demande baisse, les prix n’augmenteront pas, mais si les investissements s’arrêtent complètement dans le secteur, on n’est pas à l’abri d’un choc des prix dans quelques années », poursuit l’analyste, prompt à rappeler qu’il est impossible de prévoir avec exactitude le prix du pétrole.

Pour Matthieu Auzanneau, le prix du baril n’est pas vraiment le sujet : il faudrait surtout anticiper le prix à payer si nous ne préparons pas dès aujourd’hui une sortie maîtrisée et organisée des hydrocarbures. Car si la question de l’épuisement de la ressource divise les observateurs du secteur, lui assure que « depuis plusieurs années, les pétroliers ne trouvent plus de pétrole conventionnel. La production de la Russie et la production de l’ex-URSS va décliner. Or, la Russie, c’est 30% des approvisionnements de l’UE, et l’ex-bloc soviétique, c’est plus de 40%. L’Algérie est en déclin depuis 2007, le Nigeria est en déclin, l’Angola est en déclin. Plus de la moitié des approvisionnements actuels de l’UE sont promis au déclin d’ici 2030. » La menace a déjà son scénario : « Mad Max », résume l’expert.

« Cette crise que nous traversons est une bonne occasion de prendre la mesure de l’ampleur de notre dépendance omniprésente au pétrole », suggère-t-il, prônant « une cure de désintoxication systématique » et « la réorganisation des transports, de l’industrie, de l’agriculture, de manière plus sobre ».

« Si on ne sort pas du pétrole de notre plein gré pour nous sauver du chaos climatique, nous serons rattrapés par le déclin de la ressource. Et, tout comme la crise climatique, le pic pétrolier n’appartient plus à un avenir lointain. »
Matthieu Auzanneau, de The Shift Project à franceinfo

« Les engagements de sortie du pétrole qui ont été pris ne sont pas confortés par des réorganisations des activités qui permettraient d’y arriver effectivement, au bon rythme, déplore-t-il encore. Pour l’instant, il n’existe dans aucun pays un plan cohérent pour mettre en œuvre la fin du pétrole. C’est ça, la tragédie. »

Source : franceinfo

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