CROISSANCE URBAINE ET ACCES AUX SERVICES ESSENTIELS (Tanger, Maroc)

Le think tank (Re)sources a organisé les 11 et 12 février son 11ème colloque à Tanger sur le thème de l’accès aux services essentiels dans le contexte d’urbanisation rapide dans les pays en développement. (Re)sources a réuni de nombreuses personnalités de son réseau, des experts issus d’horizons très variés ainsi qu’un panel de participants marocains (élus locaux, présidents d’association, entrepreneurs, etc.) Les débats ont permis de faire émerger des recommandations d’actions pour construire des villes durables et résilientes, recommandations destinées à la communauté de l’eau et de l’énergie et aux décideurs publics. (Re)sources publie ces recommandations autour des quatre grandes thématiques pour améliorer l’accès aux services essentiels dans les villes en développement: le renforcement de la gouvernance urbaine, l’aménagement du territoire, le financement de l’accès aux services et la gestion du risque climatique.

Lire les 21 recommandations en ligne

The think tank (Re)sources has organized on 11 and 12 February 2016 in Tangier a symposium on the theme « Urban Growth in developing countries and access to basic services ». Many personalities of the network were gathered, among which Michel Rocard, former Prime Minister, Gilbert Houngbo, former Prime Minister of Togo and former Director of Africa UNDP , Moussa Oumarou, former Minister of Public Service, Work and Employment in Niger, or Gérard Payen, advisor to the Secretary General of the United Nations on water and sanitation. The debates between the French and Moroccan experts have led to the emergence of recommendations for actions to build sustainable and resilient cities, for the water and energy community as well as public policy makers.

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Synthèse

Table ronde 1 : la dynamique de la gouvernance urbaine

La gouvernance urbaine s’impose comme un processus d’autant plus crucial que la croissance non maîtrisée des villes du Sud complexifie et perturbe l’organisation des territoires et donc l’ac­cès aux services essentiels. Si les Etats ratifient les décisions actées au sein des instances de gou­vernance internationale, la prise en responsabilité par les autorités nationales en matière d’accès aux services constitue souvent un chaînon essentiel. Nombre de villes du Sud sont aujourd’hui dépourvues d’une gouvernance à même d’assurer la mise en œuvre des directives. 

La croissance urbaine ne pose pas seulement le problème de l’accès aux services d’eau, d’énergie et d’assainissement mais également celui de la gestion des déchets solides, de la mobilité urbaine et de la gestion de l’espace urbain avec des populations condensées dans des espaces très limités. Il faut non seulement agir pour l’élargissement, le renforcement et le développement d’une collaboration multipartite autour de ces services mais également repenser, à une autre échelle de grandeur, le développement des villes. Une bonne interaction multi-éche­lons et multi-acteurs est un préalable sans lequel aucune avancée en matière d’accès aux ser­vices essentiels urbains n’est envisageable.

Table ronde 2 : les services essentiels au sein de territoires urbains étalés et fragmentés

La dimension de volume est un facteur inédit dans les pays qui connaissent les plus forts taux de croissance urbaine. On constate une décorrélation importante dans le développement actuel des villes du Sud entre l’extension de la ville, sa morphologie et ses réseaux. La croissance urbaine prend sou­vent le pas sur le développement des services publics, ce qui conduit à détériorer l’accès aux services de base. Cette dégradation s’avère d’autant plus préoccupante que la majorité des villes du Sud ne disposent pas aujourd’hui des moyens nécessaires pour l’endiguer. D’une manière générale, l’organisation de la ville ne doit pas être confiée uniquement aux urbanistes et aux ingénieurs mais doit aussi prendre racine dans la réalité en s’appuyant sur les différents acteurs qui la composent.

Face à ce problème, la ville doit s’adapter et faire émerger des solutions techniques, organisa­tionnelles et institutionnelles qui tiennent compte des conditions locales et d’un environne­ment non stabilisé. De nombreux opérateurs, publics ou privés, font l’expérience de l’existence de zones de non droit dans lesquelles les autorités publiques s’opposent au développement de l’accès aux services. La ville doit donc en parallèle apporter des réponses à la problématique foncière pour permettre aux populations en marge de bénéficier d’un droit de propriété et d’accéder aux services.Les pratiques de politique de relogement des populations issues des bidonvilles exigent par ailleurs une forte intermédiation et un accompagnement particulier. 

Table ronde 3 : le financement de l’accès aux services urbains essentiels

L’afflux de nouveaux habitants induit une pression à la fois sur l’équilibre des coûts des services de base, sur la capacité des villes à maintenir les installations et les équipements existants et sur le financement de nouvelles infrastructures. Dans un contexte de fragilité budgétaire, les villes des pays en développement sont contraintes de diversifier et renforcer leurs sources de fi­nancement pour concilier développement urbain et équilibre financier des services.

S’il existe des difficultés de financement, elles ne sont pas dues à l’absence de fonds mais relèvent plutôt des modalités de mise en œuvre. Au-delà des ressources publiques, ces villes doivent également mobiliser les financements privés et l’épargne locale. Or, s’il est avéré que les fonds existent localement, ils ne sont la plupart du temps pas investis dans les infrastructures de services essentiels du fait de choix politiques qui tendent à conduire à des modèles non rentables pour les investisseurs. Par ailleurs, les populations pauvres sont prêtes à payer le juste prix dès lors que la prestation de service répond à leurs exigences. Les services d’infrastructures, et notamment l’eau et l’électricité, doivent être vendus et, par conséquent, tarifés. Le calcul de la tarification et des modalités de paiement doit être supportable par le client, à condition qu’il ne remette pas en cause la maintenance des ouvrages. D’une manière générale, les initiatives foisonnent et les modèles qui émergent conduisent moins vers l’action, moins vers les financements que vers l’émergence d’acteurs du développement.

Table ronde 4 : la prise en compte du risque climatique

Le phénomène de croissance urbaine augmente la vulnérabilité des populations face au risque climatique dans les villes du Sud, dont la plupart se situent sur les côtes ou à proxi­mité. Les populations pauvres sont aussi les plus exposées aux phénomènes extrêmes du fait qu’elles sont le moins en mesure de s’adapter. Tout comme l’énergie, la demande en eau dans les villes devrait par ailleurs progresser sous l’effet de l’augmentation des températures et de l’accroissement de la population. Aus­si, la dimension de «catastrophe naturelle» doit être incluse dans la réflexion sur les ser­vices essentiels urbains à mettre en œuvre et de véritables plans de continuité et de secours dédiés aux événements extrêmes doivent être définis.

Préserver et renforcer les infrastructures de base, développer des systèmes d’alerte, faire appel aux énergies renouvelables conditionnent la capacité d’adaptation et d’atténuation des villes du Sud. Il s’agit pour les acteurs institution­nels de s’inscrire dans une logique de préparation, en valorisant le transfert d’expériences du Nord vers le Sud et en plaçant l’intelligence humaine, la technologie et le savoir-faire au cœur de la résilience. Il faut trouver collectivement des solutions opérationnelles au profit des populations les plus sensibles. Sans oublier la mobilisation des acteurs de la société civile qui sont perçus aujourd’hui comme des outils de solutions et non plus comme des freins par rapport aux grands problèmes de la planète, et ont donc un rôle essentiel à jouer dans les processus de planification.

Recommandations de (re)sources

En matière de gouvernance urbaine et d’accès aux services de base, (Re)sources recommande de :

  • Engager les Etats à identifier et afficher la part de leur PIB consacré à l’accès aux services essentiels en distinguant les différentes sources et affectations, et à présenter leurs résultats en matière d’accès aux services essentiels, devant leurs pairs ;
  • Décentraliser les pouvoirs et les moyens relatifs aux services urbains de base vers les villes sans pour autant exclure une planification nationale et un service d’Etat ;
  • Promouvoir la nécessité d’une collaboration multi-acteurs et d’une prise en compte coordonnée de l’ensemble des services (eau, assainissement, électricité, mais aussi déchets, transports, voierie…) ;
  • Développer la formation des personnels de la ville et la sensibilisation des citoyens en tant qu’ils sont un levier pour une meilleure gouvernance ;
  • Intégrer le numérique dans la gestion de l’accès aux services essentiels, en ce sens qu’il facilite le contact avec les citoyens / usagers et que l’accès au service passe par l’accès à l’information.

En matière d’aménagement du territoire et d’accès aux services de base, (Re)sources recommande de :

  • Inclure les quartiers informels au même titre que les quartiers formels dans les plans de gestion et de développement des services d’eau potable et d’assainissement des territoires urbains et péri-urbains ;
  • Mettre en place des dispositions transitoires avec des modalités organisationnelles et techniques adaptées pour le court terme, lorsque le maintien dans les lieux n’est pas souhaitable en raison de difficultés foncières, de contraintes d’urbanisme ou d’impératifs de sécurité ;
  • Reconnaître les comités de quartiers et les associations d’intermédiation en tant qu’acteurs institutionnels de l’organisation urbaine en lien avec les autorités publiques nationales et locales ;
  • Donner l’autorisation aux opérateurs de services essentiels d’organiser avec les habitants une desserte provisoire satisfaisante des quartiers informels, indépendamment du souhait des pouvoirs publics de déplacement de la population ;
  • Assurer prioritairement la recherche de financements pour la maintenance et le renouvellement des ouvrages et former les acteurs publics à la mise en œuvre de la planification urbaine.

En matière de financement de l’accès aux services urbains essentiels, (Re)sources recommande de :

  • Mobiliser les investisseurs privés en leur apportant des garanties (retour sur investissement, garantie du taux de change, garanties de paiement) ;
  • Promouvoir la mise en place d’une tarification de chaque service, avec une différenciation des prix sur les territoires en fonction du coût effectif  et de la possibilité de paiement des usagers ;
  • Favoriser la constitution d’une communauté coordonnée d’acteurs  (publics et privés) en utilisant l’aide au développement non seulement comme un apporteur de fonds mais aussi comme un facilitateur ;
  • Travailler sur l’émergence d’un cadre sectoriel et d’une régulation transparente et stable en lien avec les autorités publiques nationales ;
  • Rechercher la mise en place de financements alternatifs (micro-crédit, crowdfunding) et de modèles alternatifs (mini-utilities, hors réseau) ;
  • Consacrer une partie des financements à la maintenance et au renouvellement des ouvrages.

En matière de risque climatique et d’accès aux services de base, (Re)sources recommande de :

  • Penser aux investissements nécessaires en intégrant la question de l’incertitude et en recherchant la proportionnalité  entre niveau d’investissements et risques prévisibles. Promouvoir une double approche, prospective et rétrospective dans l’élaboration des scénarios ;
  • Promouvoir une approche différenciée de la ville résiliente, en privilégiant la prise en compte des dynamiques locales des villes du Sud à l’exportation des modèles du Nord. La gestion durable des ressources, notamment pour l’eau, doit être intégrée à la gestion des risques ;
  • Créer une culture du service qui prend en compte une nouvelle donne : d’une part, circuits courts et synergie entre services ; d’autre part, rationalisation des usages et lutte contre les gaspillages.  S’inscrire dans une gestion durable de la ressource et d’appropriation locale des solutions ;
  • Utiliser les réseaux sociaux dans la gestion des services et la prévention des risques naturels. Mettre le citoyen au cœur de la décision publique afin d’intégrer l’incidence des changements de comportements ;
  • Cibler les questions d’adaptation dans l’éligibilité aux financements internationaux, notamment au fond vert. Soutenir en priorité les régions les plus pauvres. 

Lire le programme

Télécharger les recommanations (Fr)

Télécharger les recommandations (En)

Télécharger les actes

Programme du prochain colloque – 3 juillet 2018, Rabat

Interview de Michel Rocard – Medi1 Radio

Le défi du financement des infrastructures d’eau en Afrique – RFI

70 % de la population sera citadine en 2050 – Le Figaro

VIDÉOS DE L’ÉVÈNEMENT

Dynamique de la gouvernance urbaine – Colloque (Re)sources 2016

Les services essentiels au sein des territoires urbains – Colloque (Re)sources 2016

Financement de l’accès aux services urbains – Colloque (Re)sources 2016

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