DÉGRADATION DU LAC VICTORIA : LE PRIX DE L’INACTION

Le lac Victoria est le plus grand lac d’Afrique, ainsi que la source du Nil Blanc. Crucial pour la région, le lac est pourtant victime de nombreux fléaux : une piètre qualité de l’eau, caractérisée par la prolifération d’algues et de plantes aquatiques nuisibles, l’appauvrissement en oxygène des eaux profondes et de fréquents phénomènes de mortalité massive des poissons.

Le lac Victoria, qui couvre une superficie de 68 800 km2, est le plus grand lac d’eau douce d’Afrique, et le second à l’échelle mondiale. Ce lac transfrontalier se répartit entre trois pays (la Tanzanie à 51 %, l’Ouganda à 43 % et le Kenya à 6 %), et son bassin versant (le bassin du lac Victoria – 194 000 km2) s’étend sur cinq pays (le Rwanda, le Burundi, le Kenya, la Tanzanie et l’Ouganda). Son bassin hydrographique accueille environ 45 millions de personnes, avec une densité de population de 300 habitants au kilomètre carré. Cette densité, peut-être la plus élevée d’Afrique, continue de croître de 3,5 % par an. L’achèvement du chemin de fer ougandais et l’amélioration de l’accès à l’intérieur des terres, qui favorise le commerce des produits agricoles issus des plantations et des pêcheries, ont incité davantage de personnes à s’installer dans le bassin du lac Victoria.

Une région dont les ressources sont déterminantes pour les habitants

Les ressources importantes en eau et en terres arables poussent la plupart des habitants du bassin du lac Victoria (80 % des autochtones et nouveaux arrivants) à pratiquer une agriculture pluviale à petite échelle (il s’agit principalement de cultures vivrières) et un élevage nomade traditionnel (où les animaux paissent sur les terres communales) comme principaux moyens de subsistance.

La production d’énergie hydraulique, le tourisme (attrait des vastes réserves naturelles et de la biodiversité des eaux douces – jusqu’à 39 zones clés de biodiversité), l’exploitation minière (sable et or), l’apiculture et le commerce du bois de combustion sont quelques-unes des autres activités courantes de la région. La pêche (qui permet à 3 millions de personnes de vivre) et l’extraction d’eau potable, surtout pour les grandes villes telles que Kampala (250 m3 par jour), Kisumu et Mwanza, constituent par ailleurs des services écosystémiques très importants qui ont conduit à l’urbanisation et à l’industrialisation des bords du lac.

En effet, l’établissement d’usines de traitement des eaux, d’installations industrielles liées à la pêche et de plusieurs autres industries dépend du lac pour l’eau nécessaire aux activités de transformation et de production de ces sites ainsi qu’au traitement des déchets. Mais malgré cette abondance de ressources, le bassin du lac Victoria reste une région pauvre (77,7 % des habitants, parmi lesquels 34,6 % se trouvent dans un état d’extrême pauvreté) et fortement dépendante des ressources naturelles. Or, les densités élevées de population exercent une forte pression sur les ressources naturelles du bassin du lac Victoria, ce qui aboutit à une dégradation des terres.

Une forte pression sur les écosystèmes

Plus de 60 % de la surface du bassin du lac Victoria subit une dégradation sous forme, par exemple, de perte de couverture végétale, d’accroissement de l’érosion des sols, de baisse de la fertilité des sols et de pollution agrochimique. Cela a pour effet immédiat d’augmenter la quantité de sédiments et de nutriments présents dans le lac Victoria par le biais des dépôts aériens, des alluvions fluviales et des eaux de ruissellement.

En outre, la pollution de l’eau provenant des eaux usées des municipalités (eaux brutes et eaux pluviales) et des eaux usées industrielles a contribué à l’eutrophisation du lac, notamment dans les baies et les golfes. Cette eutrophisation se traduit principalement par la présence d’efflorescences algales et de plantes aquatiques concernant l’ensemble du lac, les efflorescences observées dans les baies fermées comportant une proportion supérieure d’algues potentiellement productrices de toxines. Cela a un impact immédiat sur les services écosystémiques issus du lac. Par exemple, les coûts de production de l’eau potable ont augmenté, la navigation est touchée, et l’accès des communautés, notamment celles qui vivent au bord du lac, à une eau potable sûre est menacé.

Le drainage des zones marécageuses (par exemple 5,29 km2, soit environ 50 % de la superficie du marais de Nakivubo, en Ouganda) pour permettre l’urbanisation, les cultures vivrières, la culture du papyrus, la fabrication de briques et l’extraction du sable a des répercussions immédiates négatives sur l’habitat de nombreuses espèces. La disparition des zones humides entraîne une perte de biodiversité et une réduction de la fonction biologique assurée par la zone tampon entre le bassin versant et le lac principal. Ce qui a pour effet d’exposer davantage encore le lac à la pollution des eaux de ruissellement, des eaux usées municipales et des eaux usées des sites industriels.

Surpêche et asphyxie des poissons

Dans les années 1950, les autorités ont décidé d’introduire dans le lac deux nouvelles espèces de poissons : la perche du Nil et le tilapia du Nil. L’objectif était d’augmenter les réserves de poissons du lac Victoria et d’améliorer le statut socio-économique des communautés riveraines. Cette opération a été couronnée de succès, et a conduit au développement d’une industrie de la pêche en eau douce, la plus importante d’Afrique depuis les années 1990 avec plus de 300 000 tonnes en 1990, et en moyenne 250 000 tonnes par an ces deux dernières décennies.

Mais cette introduction a aussi eu une conséquence malheureuse : peut-être la plus grande perte de biodiversité de la région. On pense que cette mesure a entraîné l’extinction de 200 espèces d’haplochromines endémiques du lac Victoria. Trois espèces font aujourd’hui l’objet d’une pêche commerciale dans le lac : la perche du Nil, le tilapia du Nil et le cyprinidé argenté connu localement sous le nom de mukene ou encore dagaa, et le nombre de ces poissons diminue également en raison de la surpêche et de la dégradation de l’environnement.

Cette surpêche incluant la pêche illégale, non signalée et non régulée, a abouti à une chute des réserves de poissons (de 33 % pour la perche du Nil entre 2015 et 2016, par exemple). On a également rapporté une mortalité massive de poissons, associée à la prolifération d’efflorescences algales et à la remontée d’eaux pauvres en oxygène entraînant une asphyxie. La décomposition de la biomasse à forte teneur en matières organiques acheminée dans le lac, notamment dans les baies et les golfes, contribuerait aux épisodes de déficit en oxygène.

Des mesures de protection encore insuffisantes

Le Projet de gestion de l’environnement du lac Victoria (phase I de 1996 à 2005 et phase II de 2009 à 2017) a été le programme d’intervention de plus longue durée après l’éclatement de la Communauté d’Afrique de l’Est (en 1977 – elle a ensuite été recréée en 2000) pour s’attaquer aux nombreux problèmes associés au lac et à son bassin hydrographique. Ce projet a permis de sensibiliser davantage aux défis environnementaux du lac et d’intensifier la coopération régionale afin d’identifier les domaines d’intervention prioritaire. La Commission du bassin du lac Victoria (LVBC), formée en 2005 pour coordonner les interventions régionales en vue d’une utilisation durable du lac et de ses ressources, a mis en évidence, entre autres problèmes, d’importantes lacunes politiques, juridiques et institutionnelles, notamment en termes de gestion des problèmes émergents tels que le changement climatique.

La région doit encore mettre en place dans l’ensemble du bassin les mesures régulatoires, les progrès techniques et la planification indispensables pour contrôler la dégradation de la qualité des eaux du lac en tant que ressource transfrontalière. La hausse des températures, l’évolution des cycles de précipitation, le développement d’activités économiques telles que la pisciculture en cage flottante, ainsi que l’apparition de nouvelles formes de pollution telles que celle des microplastiques et des nanoplastiques constituent de nouvelles menaces pour la progression réalisée à ce jour en termes de gestion du lac et de ses ressources.

En l’absence de mesures coordonnées et soutenues par la région en vue d’améliorer et de diversifier les moyens de subsistance de la population, et d’efforts visant à restaurer l’écosystème, le lac Victoria ne pourra pas continuer durablement à fournir les services écosystémiques qui font sa réputation depuis la découverte de ce trésor caché par John Hanning Speke en 1858.

Les opinions exprimées dans ce blog sont celles des auteurs et ne reflètent pas forcément la position officielle de leur institution ni celle de l’AFD.

Source : ideas4development

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