JOURNÉE MONDIALE DE L’EAU : DES SOLUTIONS POUR SE PASSER D’EAU DOUCE

On parle beaucoup de la transition énergétique, mais moins de celle en cours dans le monde de l’eau. Or la transition hydrique n’en est pas moins cruciale pour satisfaire les besoins sans cessecroissants des hommes. De même que l’énergie, l’eau sera de plus en plus une eau « alternative », produite à partir de ressources non conventionnelles telles que la mer et les eaux usées, au lieu de provenir des rivières ou des nappes souterraines. En Australie, dans les Émirats Arabes Unis et en Afrique du Sud, on recycle les eaux usées pour irriguer les cultures maraîchères, les espaces verts et les golfs ; à Singapour, Berlin et Windhoek, on les retraite pour produire de l’eau potable.

A lire : Face à la rareté croissante de l’eau, la réutilisation des eaux usées s’impose

Donner une seconde vie à l’eau

Ce n’est pas un hasard, si se multiplient les projets destinés à donner une seconde vie à l’eau. Avec les économies d’eau, le recyclage est en effet la parade la plus efficace contre les pénuries.

Sur le plan économique, l’eau usée recyclée présente de nombreux atouts : elle se trouve précisément là où on en a besoin, elle est la seule ressource qui croisse avec le développement économique, elle est – une fois épurée – moins chère à traiter que l’eau de mer.

Sur le plan environnemental, la réutilisation des eaux usées réduit drastiquement les ponctions dans des ressources en eau douce, ainsi que la charge polluante rejetée in fine dans le milieu naturel.

Sur le plan géopolitique, le recyclage renforce l’indépendance hydrique des pays : il leur donne accès à une ressource sûre, située chez eux, et donc à l’abri des rivalités interétatiques. En cette période de regain des tensions internationales, ce n’est pas le moindre de ses avantages.

Faire tourner des usines avec de l’eau recyclée

Recycler l’eau, c’est accroître sa productivité. Une question clé pour l’industrie, quand on sait que fabriquer une voiture exige 400 000 litres d’eau ; une paire de jeans, 11 000 litres ; un téléphone portable, 1 300 litres.

Pour chaque unité de produit national brut (PNB) produite, certains pays dépensent beaucoup plus d’eau que d’autres. Décarboner la croissance économique ne suffit donc pas ; il faut aussi la déshydrater.

Dans la laiterie de Nestlé à Lagos de Moreno, au Mexique, les eaux de process sont réutilisées, au point qu’aucun mètre cube d’eau douce n’est prélevé à l’extérieur ! Nous savions déjà construire des usines « zéro rejet liquide », afin d’éviter toute pollution ; nous concevons maintenant des usines « zéro prélèvement », afin de diminuer les conflits d’usage de l’eau dans les régions arides.

Donner une valeur au recyclage

Les nouvelles raretés appellent l’invention de nouvelles ressources. À l’économie classique, se substitue une économie circulaire, transformant l’eau inutile en eau utile. En valorisant ce qui ne valait rien, le modèle économique du recyclage donne aux municipalités, aux industriels et aux agriculteurs, les moyens de répondre à la demande en eau à moindre coût, tout en réduisant l’impact sur l’environnement.

Israël réutilise 90 % de ses eaux usées, mais c’est une exception. À l’échelle mondiale, à peine 5 % des eaux usées sont recyclées.

Pourquoi donc cette ressource si prometteuse est-elle si peu exploitée ?

D’abord et fort heureusement, un certain nombre de pays n’en ont pas besoin : la Norvège, par exemple, dispose de réserves si abondantes, qu’elle pourrait s’offrir le luxe de gaspiller l’eau, ce qu’elle ne fait pas. Ensuite, des populations refusent de recourir au recyclage des eaux usées, non pas pour des raisons liées aux technologies puisque celles-ci garantissent la sécurité sanitaire dès lors qu’elles sont employées avec professionnalisme, mais pour des motifs culturels ou religieux.

2,4 milliards d’habitants n’ont pas accès à l’assainissement

Cependant, le principal obstacle réside ailleurs. Pour pouvoir recycler les eaux usées, il faut d’abord les collecter et les épurer. Or dans les pays du Sud, les autorités publiques se livrent à une coursepoursuite avec la croissance démographique.

Les infrastructures ne suivent pas, en particulier celles d’assainissement qui sont reléguées au dernier rang des priorités. Actuellement, 2,4 milliards de personnes n’ont pas accès à un assainissement de base. Et parmi les villes qui collectent les eaux usées, combien possèdent des usines capables de les dépolluer ? Aujourd’hui, 40 % des villes méditerranéennes de plus de 2 000 habitants sont dépourvues de station d’épuration.

Pour que l’assainissement se généralise, et dans un second temps, la réutilisation des eaux usées, il faut faire de celui-ci une priorité politique et le concevoir dans une filière d’ensemble, intégrant la collecte, le traitement et la valorisation des eaux usées, au lieu de le cantonner aux toilettes individuelles, sujet majeur en termes de dignité humaine, mais limité quant à la protection de
l’environnement.

Les ressources naturelles sont devenues rares

Jusqu’à présent, l’humanité a toujours trouvé des solutions pour franchir les murs de la rareté successifs qui se sont élevés sur son chemin. En sera-t-il de même cette fois-ci avec l’eau ? Ressource classique surexploitée, ressource alternative inexploitée : la mutation des services d’eau est en cours pour remédier à ce déséquilibre et étancher la soif du monde !

De même qu’il existe des moyens de s’affranchir du charbon, du pétrole et du gaz, il existe des solutions pour se passer d’eau douce. Aujourd’hui, les ressources naturelles sont devenues trop rares pour n’être utilisées qu’une fois avant d’être restituée à la nature : en dépit des apparences, lorsqu’on pense eaux usées, on doit systématiquement penser ressources.


Antoine Frérot
PDG de Veolia
Membre de (R)esources

Partager cet article

Copier le lien de l'article

Copier