L’eau en Afrique(s) : il faut agir maintenant !

TRIBUNE. Au regard des défis qu’il doit relever face à la question de l’eau, le continent africain pourrait être celui qui inspire le monde quant aux solutions.

Par Patrice Fonlladosa*

Sur le continent qui connaît la plus forte croissance démographique au monde, les populations les plus vulnérables sont en première ligne face au stress hydrique et aux conséquences délétères du changement climatique. Financements massifs et gouvernance, deux facteurs majeurs pourront faire de l’Afrique(s) le continent des solutions.

Il est des catastrophes dont seuls les chiffres permettent d’appréhender l’urgence et l’envergure ; celle de la pénurie d’eau en Afrique(s) en est au premier plan. Sur le continent, un citoyen sur trois est d’ores et déjà affecté par le manque d’eau. Aujourd’hui, 400 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable de base en Afrique subsaharienne. Catastrophique ? Incontestablement, mais le pire est à venir. D’ici 2025, demain donc, près de 230 millions d’Africains seront directement impactés par le manque d’eau dans leur vie quotidienne, dans leur simple capacité de développement en tant qu’êtres humains. Dans trois ans – trois ans seulement —, quelque 460 millions d’habitants vivront dans des régions du continent qui seront soumises à un stress hydrique, c’est-à-dire au sein desquelles la demande en eau sera supérieure aux ressources disponibles.

 

Conflits et violences liés à l’accès à l’eau, déplacements massifs de populations, mais aussi baisses des rendements agricoles, désertification de régions entières, augmentation des temps de trajets pour accéder à l’eau, insécurité alimentaire chronique… : selon l’Unicef, les conséquences délétères du manque d’eau sont en marche et frapperont en priorité les populations de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA). Dans ces pays, le stress hydrique affecterait déjà près de neuf enfants sur dix, entraînant de graves séquelles sur leur santé, leur alimentation, leur développement cognitif et leurs futurs moyens de subsistance en tant qu’adultes. Une manière, pour le Fonds des Nations unies pour l’enfance, de rappeler cette évidence : sans eau, pas de vie.

 

Des inégalités d’accès à l’eau renforcées par la crise sanitaire

Si les conséquences du manque d’eau sont bien connues, ses causes aussi, au premier rang desquelles l’extraordinaire essor démographique de l’Afrique. Le continent devrait compter plus de 2 milliards d’habitants d’ici à 2050, un bond unique dans l’histoire humaine : plus de 90 % en une trentaine d’années entre 2020 et 2050, du jamais-vu. Le réchauffement climatique va, quant à lui, multiplier la fréquence des dérèglements : sécheresses, inondations, tempêtes. Autant d’événements climatiques extrêmes qui rendront l’accès à l’eau plus rare, plus imprévisible ou une ressource plus polluée, quand ce ne sera pas les trois à la fois. Ravageant les récoltes, les inondations endommagent aussi les infrastructures de traitement de l’eau et dispersent les matières fécales ; l’augmentation des températures favorise la prolifération des germes et bactéries, entraînant des vagues de maladies infectieuses d’origine hydrique, comme le choléra pour lequel le combat ne se termine toujours pas. Les vaccins, d’accord, mais l’accès à l’eau potable d’abord ! Les populations les plus vulnérables sont aussi les plus immédiatement touchées : ainsi pour le seul continent, au Mali, au Burkina Faso ou au Cameroun, mais aussi au Yémen, et même en Namibie, ce sont des dizaines de millions de personnes qui ont besoin dès aujourd’hui d’un accès à l’eau et aux infrastructures d’assainissement. Au Mali, par exemple, plus de 65 % des habitants n’ont pas accès à l’eau potable et plus de 70 % n’ont aucun service d’assainissement.

 

Patrice Fonladossa.© DR

Le constat est d’autant plus alarmant depuis la pandémie de Covid-19. Le manque d’infrastructures augmente significativement le risque de propagation de la maladie et fragilise encore davantage les populations déjà précaires. Comment se laver les mains régulièrement quand on ne trouve déjà pas suffisamment d’eau pour s’hydrater ? Si la crise sanitaire creuse les inégalités mondiales et régionales en matière d’accès à l’eau, la lutte légitime contre le virus pourrait également conduire à un relâchement des efforts de développement des infrastructures, infrastructures qui souffrent d’ores et déjà de décennies de sous-financement chronique. Déjà, des programmes de financement pourtant initiés de longue date ont été suspendus, leurs ressources financières réaffectées à la lutte pour la santé devant la pression Covid. Or « l’une des raisons qui expliquent le manque d’investissement dans l’eau […] est que ces services sont perçus comme une question sociale […] plutôt qu’économique », pour Richard Connor, auteur d’un rapport publié sous l’égide de l’ONU, selon qui « la prise de conscience de l’importance économique de l’eau devrait constituer un catalyseur […] pour accroître les investissements ».

 

À Dakar, un Forum mondial de l’eau attendu sur des engagements concrets

L’accès à l’eau potable et l’assainissement font pourtant partie des objectifs mondiaux de développement durable, l’ODD6. De nombreuses initiatives sont ainsi lancées, à l’image de la campagne Water Security for All conduite par l’Unicef, dont la directrice générale a récemment estimé que «  la crise mondiale de l’eau ne se profile pas seulement à l’horizon, elle est déjà là ». Cette initiative s’emploie notamment à fournir des services d’approvisionnement en eau potable et abordable, mais également capables de résister à l’impact des changements climatiques, à impulser des mesures de prévention de la pénurie d’eau (évaluation des ressources, durabilité des prélèvements, etc.) et à renforcer la coopération entre les acteurs de l’eau et les populations locales, tout en favorisant une meilleure gestion des services d’approvisionnement en eau. Un exemple parmi de très nombreux autres.

Le prochain Forum mondial de l’eau**, qui se tiendra à Dakar du 21 au 26 mars prochain, se déroulera pour la première fois depuis sa création, en 1997, en Afrique subsaharienne. Prenons-le comme un symbole majeur de prise de conscience. Se présentant comme un véritable «  catalyseur d’action pour accélérer l’accès universel à l’eau et à l’assainissement », cette neuvième édition du forum se fixe quatre priorités : la sécurité de l’eau et de l’assainissement, le développement rural, la coopération et les « outils et moyens » incluant, notamment, les questions des financements, de la gouvernance, de la gestion des connaissances et de l’innovation. L’occasion pour le président de l’Union africaine, Macky Sall, qui accueille ce forum dans son pays, d’appeler à une « transformation qualitative du quotidien des populations [et une] amélioration des performances des secteurs de production ».

Alors que « l’eau occupe une place vitale dans la satisfaction de nos besoins, dans la préservation de notre environnement et dans le développement de nos pays, poursuit le chef d’État, les effets combinés du changement climatique et de l’accroissement de la population entraînant la raréfaction de l’eau, il s’avère nécessaire d’aborder la problématique de l’eau sous l’angle de la promotion de la paix (et) en cohérence avec le plan Sénégal émergent (PSE) visant la transformation structurelle de l’économie, la promotion du capital humain, y compris la réduction des inégalités par l’accès de tous à l’eau potable et à l’assainissement ».

 

À Dakar, bailleurs de fonds, décideurs publics et institutionnels, mais aussi acteurs privés et société civile seront face à un défi majeur : passer des discours aux actes, financés, organisés et mesurables. Ils devront faire la preuve de leur volonté commune de construire massivement les infrastructures nécessaires, condition sine qua non de la lutte contre le stress hydrique et les effets du changement climatique.

Sans finances, point d’issue, mais, sans gouvernance, un sommet de plus pour des espoirs déçus. Gageons que tous ont conscience de l’enjeu, les yeux grands ouverts.

 

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