SYNTHÈSE DE LA MATINALE : « CLIMAT : RISQUES ET OPPORTUNITÉS POUR L’EAU ET L’ÉNERGIE DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT »

05/06/2018 – Collège des Bernardins-Paris

A l’occasion de la Journée Mondiale sur l’Environnement, Jean Jouzel, climatologue et ancien vice-président du GIEC, était le grand témoin de notre Matinale, animée par Claire Tutenuit​, délégué générale de l’organisation Entreprises pour l’Environnement (EPE).

Pour le cycle de Matinales 2018, un grand témoin, expert des grands enjeux de la planète, est l’invité d’un membre de (Re)sources. Leur débat s’inscrit dans l’actualité de la publication du livre de (Re)sources “Eau, énergie et autres services essentiels. Plaidoyer pour une approche intégrée” sur l’accès à l’eau, l’assainissement et l’énergie, enjeux étroitement liés aux grands  changements globaux comme le réchauffement climatique. 

Avec Jean Jouzel, nous avons évoqué bien sûr l’eau et l’énergie qui sont au cœur d’un changement climatique qui touche particulièrement les pays les plus vulnérables. Si les impacts du climat sur ces deux fluides sont dorénavant connus, l’eau et l’énergie figurent aussi en première ligne des stratégies d’adaptation et d’atténuation du fait de leur caractère transversal. Le climat, s’il est souvent présenté à juste titre comme un risque, peut et doit être une source d’opportunités pour le développement. Deux ans et demi après l’accord sur le Climat, où en est-on ? Dans quelle trajectoire les politiques nationales s’inscrivent-elles en matière de mise en oeuvre des ODD Eau, énergie et Climat ? Un GIEC de l’eau ou de l’énergie verra-t-il le jour ?

Synthèse des échanges

Le 5 juin 2018, à l’occasion de la Journée mondiale de l’Environnement, Jean Jouzel, célèbre climatologue français était le grand témoin de la Matinale de (Re)sources. Claire Tutenuit, déléguée générale d’Entreprises pour l’environnement, l’interrogeait sur le changement climatique et ses conséquences en matière de développement et d’accès à l’eau et à l’énergie.


Claire Tutenuit – Où en est-on du réchauffement climatique et quelles sont les perspectives de la lutte contre le réchauffement climatique ?


Jean Jouzel – Du côté du climat, les nouvelles sont plutôt mauvaises depuis deux ans et demi. Même la France qui fait partie des bons élèves a des difficultés à respecter les engagements pris en 2015.
Au niveau planétaire, il faudrait diminuer les émissions de gaz à effet de serre chaque année et on n’y est pas encore : elles continuent à augmenter.  En Europe, Il faudrait investir mille milliards d’euros chaque année dans des actions créatrices d’emploi qui s’inscrivent dans la lutte contre le réchauffement climatique et dans l’adaptation. Après 2020, cela risque d’être trop tard. Dans le livre Pour éviter le chaos climatique et financier, nous avons, avec Pierre Larrouturou,  écrit qu’une politique européenne « agressive » dans ce domaine pourrait servir d’exemple au niveau planétaire. Quant au retrait des États-Unis de l’Accord de Paris par Donald Trump, il rend difficile de tenir les promesses faites aux pays en voie de développement, qui comptent beaucoup sur les 100 milliards de dollars par an promis par les pays développés pour les aider à s’adapter et à lutter contre le réchauffement climatique.


C. T. – Quels sont les indicateurs de ce réchauffement ?
 

J. J. – Le principal indicateur du réchauffement climatique est l’élévation du niveau de la mer de trois millimètres par an en moyenne. Elle résulte de deux phénomènes qui, eux aussi, montrent clairement le réchauffement : la fonte des glaciers et des calottes glaciaires et l’expansion thermique due à la dilatation des océans qui se réchauffent. Car il faut savoir qu’en réalité, 93 % de la chaleur supplémentaire générée par l’effet de serre est absorbée par les océans.
Le réchauffement est sans équivoque et sans précédent à l’échelle du dernier millénaire et il est attribuable de façon quasi certaine aux activités humaines, à l’utilisation des combustibles fossiles, en premier lieu . Les pratiques agricoles peuvent jouer, suivant les pays, entre 10 et 20 % des émissions de gaz à effet de serre. Les causes et le lien avec les activités humaines sont bien établis et ce réchauffement climatique va se poursuivre. Si on continue à ne rien faire, nous pourrions aller vers 4 à 5 °C de plus sur la planète à la fin du siècle, avec un climat qui ne serait pas encore stabilisé. On est donc loin de l’objectif de l’Accord de Paris d’un réchauffement limité à 2 °C et si possible à 1,5 °C par rapport à l’ère  préindustrielle et stabilisé à la fin du siècle.

C. T.. – L’augmentation des émissions de CO2 est très largement imputable aux pays en développement. Or lors de l’Accord de Paris, ils ont clairement affirmé leur besoin de développement. Comment répondre à cette aspiration au développement et satisfaire à la fois le besoin d’adaptation aux effets du changement climatique ?
 

J. J. – Le discours des pays en développement ne tient pas par rapport à la réalité climatique. Du moins, s’ils se développent sur les énergies fossiles ; nous irions alors collectivement dans le mur. Il faut aider l’Afrique à se développer sur les énergies renouvelables. Le continent doit saisir toutes les opportunités dont il dispose en la matière : solaire, mais aussi éolien, biomasse dans certains pays, hydroélectricité dans d’autres, etc. C’est une question d’investissements, de choix de développement des sociétés. L’Afrique est responsable de moins de 5 % des émissions mondiales aujourd’hui. Mais sa part augmente très rapidement. Il faut s’en préoccuper maintenant.


C. T. – Quelles sont les conséquences en matière d’accès à l’eau ?
 

J. J. – Les conséquences du réchauffement climatique sur le cycle de l’eau sont nombreuses. Demain, les régions déjà sèches auront moins de précipitations et l’inverse vaudra pour les régions déjà humides. Étant donné que la température augmente, il y a plus d’évaporation et donc de vapeur d’eau dans l’atmosphère qu’il y a vingt ans. Malheureusement, elle ne se répartit pas comme on pourrait le souhaiter. Le Maghreb et le Sahel risquent d’être encore plus secs et à l’inverse, des régions du nord de l’Europe risquent d’avoir trop d’eau. Par ailleurs, les événements de précipitations deviennent de plus en plus intenses et même les pays secs connaissent des épisodes d’inondation. Certains pays côtiers devront faire face à l’élévation du niveau de la mer mais aussi à des  risques de cyclones plus intenses. Les modifications des précipitations auront des conséquences sur la sécurité alimentaire : si elle n’est pas assurée, les gens n’auront qu’un choix, quitter l’endroit où ils vivent.


C. T. – Comment se prémunir de ces désordres climatiques et des risques liés à l’eau ?
 

J. J. – Il faut plus d’adaptation. Par exemple, la reconstruction se fait très souvent au même endroit après un épisode climatique extrême. L’adaptation passe par un urbanisme raisonnable. Quand on parle de développement urbain, on pense surtout à l’expansion des métropoles. Mais si elles se construisent sur le mode actuel, leur seule construction équivaudra à près de 10 ans d’émissions de CO2. Or si nous voulons limiter le réchauffement climatique à 2 °C, nous ne pouvons émettre du gaz carbonique au rythme actuel que pendant encore 20 ans. Il est aussi nécessaire de gérer l’eau disponible : il y a de réels risques d’augmentation des conflits violents pour des questions d’accès à l’eau. Le maximum doit être fait pour gérer l’eau au mieux et aider les pays à la gérer aussi bien dans les campagnes que dans les villes.
Dans les pays en développement, quand on parle d’eau, il y a peut-être plus de mauvaises nouvelles que de bonnes. Prenons l’exemple des villes côtières. Elles auront probablement la chance de pouvoir toujours fournir de l’eau potable à leurs habitants, grâce notamment au processus de désalinisation par exemple. Mais l’élévation du niveau de la mer se traduit fréquemment par une salinisation des terres agricoles qui affecte la productivité et rend difficile l’approvisionnement de ces villes. Ensuite, ces villes vivent autant des ressources halieutiques que des ressources touristiques. La mise à mal des récifs coralliens par El Niño et l’augmentation des risques de catastrophes (cyclones, inondations, etc.) les pénalisent beaucoup.


C. T. – En matière de développement urbain, pourrait-on viabiliser les bidonvilles avec un accès à l’eau et à l’énergie pour qu’ils deviennent des villes ou des quartiers durables ?
 

J. J. – Les urbanistes diront que c’est possible mais ce n’est pas ce qui se passe dans des métropoles qui peuvent dépasser 20 millions d’habitants. Parce que dans ces pays, on produit vite et au moindre coût, donc on produit avec du ciment, matériau très émetteur de gaz à effet de serre.


C. T. – Autre sujet, le prix du solaire est passé sous celui du pétrole et du charbon. Peut-on imaginer évoluer vers une économie basée sur le solaire ?


J. J. – Il nous faut l’imaginer même aujourd’hui alors que la dynamique et l’inertie des producteurs d’énergies fossiles sont telles qu’il semble impossible de les arrêter. Le coût du solaire a effectivement largement diminué. Toutefois, l’initiative de la fondation Énergies pour l’Afrique montre bien la difficulté de mettre en œuvre de tels projets : il faut des financements. 90 % des investissements, dans les villes et dans les campagnes, doivent être réalisés dans une optique de lutte contre le réchauffement climatique ou d’adaptation. Si l’Afrique ne se développe pas autour des énergies renouvelables, nous dépasserons les 2 °C d’ici la fin du siècle.

Conclusion de Jean Jouzel


Je terminerai en évoquant le dernier rapport du Giec sur la justice climatique, ou plutôt l’injustice climatique. Le risque d’accroissement des inégalités lié au changement climatique est très perceptible entre pays en voie de développement et pays développés. Or il y a déjà trop d’inégalités sur cette planète. Ce risque d’accroissement des inégalités est un des problèmes essentiels du réchauffement climatique. Même dans les pays développés, les plus défavorisés seront les plus affectés par le réchauffement climatique. Il faut être très attentifs. Le problème ne se limite pas à l’élévation du niveau de la mer.

Mais si les risques et les impacts sont immenses, il y a aussi d’énormes opportunités. Il faut aller de l’avant. Si la transition énergétique est correctement faite, elle sera créatrice d’emplois et de dynamisme économique. C’est plutôt enthousiasmant. Je souhaite que les jeunes mettent en place un monde où le développement sera différent de celui que ma génération a connu. Et il faut le faire avec enthousiasme.

Biographie de Jean Jouzel :
Président du conseil d’administration de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), Jean Jouzel a travaillé sur le climat durant toute sa carrière publiant plus de 400 articles. Il est aujourd’hui directeur émérite de recherches au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Vice-président du groupe scientifique du Giec (le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) quand cette organisation reçoit en 2007 le Prix Nobel de la paix, il a fait connaître le problème du changement climatique au grand public, au monde économique et aux pouvoirs publics en France provoquant une prise de conscience sur l’urgence d’agir. En 2012, il a reçu le Prix Vetlesen, considéré comme le Nobel des sciences de la Terre et de l’univers, et est membre de l’Académie des sciences. En 2017, il a, avec Pierre Larrouturou, publié Pour éviter le chaos climatique et financier, un livre qui alerte sur les changements en cours sur la planète et leurs possibles conséquences sur le monde économique et le développement des sociétés.

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