Une enquête montre comment les Africains perçoivent la présence chinoise sur le continent

Parmi les questions posées par Afrobaromètre figurent « la manière dont les Africains perçoivent les prêts chinois, les remboursements de la dette et la dépendance de l’Afrique vis-à-vis de la Chine pour son développement », précisent les auteurs d’un article sur cette étude dans The Conversation.

L’année 2020 marque le vingtième anniversaire du Forum sur la coopération Chine-Afrique (FOCAC), dont le premier sommet a été organisé à Pékin en 2000. Alors que le prochain sommet, prévu en septembre 2021 à Dakar, est en préparation, les responsables chinois et africains se penchent sur le bilan de ces deux décennies de coopération et sur ses prochaines orientations.

L’engagement croissant et multi-dimensionnel de la Chine avec l’Afrique a eu des effets importants, bien qu’inégaux, sur la croissance économique, la diversification économique, la création d’emplois et la connectivité en Afrique.

Mais, dans le même temps, il apparaît que les relations sino-africaines sont principalement organisées par le biais des gouvernements chinois et africains, et ne tiennent pas suffisamment compte des opinions et du bien-être des populations africaines.

En 2016, l’institut de recherche panafricain Afrobaromètre (Afrobarometer) a publié sa première étude d’opinion sur ce que les Africains pensent de l’engagement de leurs gouvernements avec la Chine.

L’étude a révélé que 63% des citoyens interrogés dans 36 pays avaient une image largement positive de la Chine. Cette popularité s’explique avant tout par les projets d’infrastructure, de développement et d’investissement mis en œuvre par la Chine en Afrique. Cependant, les perceptions d’une qualité discutable des produits chinois et de la faiblesse du nombre d’emplois créés dans ce cadre en Afrique pour les Africains avaient contribué à atténuer cette perception.

En 2019/2020, Afrobaromètre a mené une autre série d’enquêtes d’opinion africaine. Les données de 18 pays ont été recueillies directement sur le terrain à partir d’un échantillon de personnes sélectionnées au hasard dans la langue choisie par le répondant avant la pandémie de la Covid-19. Les questions de l’enquête portaient, entre autres, sur la manière dont les Africains perçoivent les prêts chinois, les remboursements de la dette et la dépendance de l’Afrique vis-à-vis de la Chine pour son développement.

Les résultats préliminaires de cette enquête révèlent que (1) la majorité des Africains préfèrent toujours davantage le modèle de développement américain (Etats-Unis) au modèle chinois et que (2) l’influence de la Chine est encore largement considérée comme positive pour l’Afrique même si (3) les Africains, au courant des prêts chinois, estiment que leurs gouvernements empruntent trop.

Dans un contexte où les dirigeants africains et chinois réfléchissent aux modalités de leur coopération, ces résultats sont importants et devraient leur permettre de construire une relation tournée vers l’avenir qui reflèterait mieux les opinions et les besoins des citoyens africains.

Etats-Unis vs Chine

Les enquêtes ont montré que les Africains préfèrent toujours le modèle de développement américain au modèle chinois. Le modèle de développement chinois repose sur une planification politique et un capitalisme de marché dirigé par l’État tandis que le modèle américain met davantage l’accent sur l’importance du marché libre.

Tableau 1 : La Chine comme meilleur modèle de développement | 16 pays | 2014-2020.

Sur les 18 pays, 32% des enquêtés préféraient le modèle de développement américain, tandis que 23% préféraient le modèle chinois. Dans l’ensemble, il y a peu de changements depuis 2014/2015, mais quelques revirements s’opèrent au niveau de certains pays.

Au Lesotho et en Namibie, les Etats-Unis ont dépassé la Chine en tant que modèle de développement privilégié. Au Burkina Faso et au Botswana, la Chine est désormais préférée aux Etats-Unis. Les Angolais et les Ethiopiens, qui n’avaient pas été inclus dans l’enquête de 2014/2015 (publiée en 2016), sont majoritairement partisans du modèle américain. Cependant, 57% des Ethiopiens et 43% des Angolais estiment que l’influence de la Chine a un impact positif sur leur pays.

Le modèle de développement chinois, dynamique et multiforme, est souvent plébiscité par les gouvernants africains. Ce modèle a cependant évolué en fonction du contexte et de la période. Les gouvernements africains doivent décider quels aspects du modèle chinois sont les plus adaptés pour leur pays, et tenir compte des limites de ce modèle.

Un examen plus approfondi des réponses des enquêtes 2014/2015 et 2019/2020 montre que dans les pays où la Chine construit des infrastructures, les perceptions sont restées stables ou sont devenues plus positives. C’est notamment le cas au Ghana, au Nigeria, en Ouganda, en Guinée et en Côte d’Ivoire.

La popularité de la Chine augmente au Sahel

Les perceptions de la Chine ont changé en mieux dans certains pays de la région du Sahel, en proie à de multiples défis politiques, sociaux et sécuritaires. Sur le plan stratégique, la Chine s’est beaucoup impliquée dans les activités de sécurité et de développement, les projets d’infrastructure liés aux Nouvelles routes de la soie, et les opérations de maintien de la paix et de sécurité, notamment sous l’égide des Nations unies dans la région.

Au Burkina Faso, la popularité du modèle de développement chinois a presque doublé, passant de 20% à 39% au cours des cinq années écoulées depuis l’enquête précédente.

En Guinée, où les entreprises chinoises sont principalement impliquées dans des projets miniers, 80% des citoyens perçoivent l’influence économique et politique de la Chine comme positive – quatre points de pourcentage de plus qu’il y a cinq ans. Dans l’ensemble, l’implication croissante de la Chine dans la région du Sahel semble avoir eu un fort impact sur les opinions des citoyens.

Impact économique et remboursement de la dette

Une majorité de citoyens africains considèrent que les activités économiques de la Chine ont « assez » ou « beaucoup » d’influence sur les économies de leur pays. Mais cette proportion est passée de 71% en 2014/2015 à 56% en 2019/2020 dans les 16 pays étudiés. Alors que six Africains sur dix considèrent l’influence de la Chine sur leur pays comme positive, cette perception est passée de 65% à 60% dans 16 pays.

Figure 1 : Perception de l’influence positive de la Chine | 18 pays | 2014-2020

Par ailleurs, les puissances régionales africaines, les organisations régionales et des Nations unies, ainsi que la Russie, sont également perçues comme des entités ayant une influence positive. L’influence de la Russie est perçue comme étant positive par 38%. Cela pourrait être le reflet de l’engagement politique, économique et sécuritaire croissant de la Russie avec l’Afrique, ainsi que le rôle des médias russes tels que Russia Today et Spoutnik. Une étude récente sur le contenu des médias numériques en Afrique de l’Ouest francophone a montré comment le contenu numérique produit par les médias russes s’infiltre plus rapidement dans les espaces médiatiques africains que les contenus chinois.

L’enquête Afrobaromètre révèle également que moins de la moitié (48%) des citoyens africains sont au courant des prêts chinois ou de l’aide financière octroyée par la Chine à leur pays. Parmi ceux qui ont déclaré être au courant de l’aide chinoise, plus de 77% étaient préoccupés par le remboursement des prêts. Une majorité (58%) estime que leurs gouvernements ont emprunté trop d’argent à la Chine.

Figure 2 : Opinions sur les prêts/aide au développement de la Chine | 18 pays | 2019/2020.

Dans les pays qui ont reçu le plus de prêts chinois, les citoyens se sont dits préoccupés par l’endettement. Ce constat se retrouve notamment au Kenya, en Angola et en Ethiopie. Dans ces pays, respectivement 87%, 75 % et 60% des citoyens sont préoccupés par le fardeau de la dette.

Les enseignements à tirer

Les dernières données d’Afrobaromètre fournissent des enseignements à la fois aux analystes des relations sino-africaines et aux dirigeants africains.

Premièrement, il n’y a pas de monopole ou de duopole d’influence en Afrique. Au-delà des Etats-Unis et de la Chine, il existe une mosaïque d’acteurs, africains et non africains, que les citoyens considèrent comme ayant une influence politique et économique sur leur pays et son avenir. Ces acteurs comprennent les Nations unies, les puissances régionales africaines et la Russie.

Deuxièmement, les résultats de l’enquête montrent que si l’influence chinoise reste forte et positive aux yeux des citoyens africains, elle l’est dans une moindre mesure qu’il y a cinq ans. Cette baisse de popularité pourrait également être liée à la perception autour des prêts et de l’aide financière, au manque de transparence, aux discours autour du « piège de la dette » et aux allégations de mainmise sur les ressources africaines par la Chine.

Une fois que le travail de terrain aura repris, les futures enquêtes d’Afrobaromètre dans d’autres pays pourraient mettre en lumière la manière dont la pandémie et la « diplomatie du masque » de la Chine, ainsi que les reportages des médias sur les mauvais traitements infligés aux citoyens africains à Guangzhou, auront affecté les opinions publiques africaines.

Folashade Soule, Senior Research Associate, University of Oxford et Edem E. Selormey, Director of Research, Centre for Democratic Development Ghana
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Source : franceinfo

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