3 QUESTIONS A ALAIN BOINET (Matinale (Re)sources « L’eau, source de vie ou vecteur de maladies ? »)

Si l’eau est naturellement source de vie, l’eau non potable constitue la première cause de mortalité dans le monde et tue chaque année 5 millions de personnes. La lutte contre les maladies liées à l’eau reste un enjeu majeur dans les pays en voie de développement où l’eau véhicule un nombre important de maladies du fait de systèmes d’assainissement inexistants ou défaillants et de problèmes d’approvisionnement en eau potable. Quelles sont les caractéristiques de ce fléau et comment l’endiguer ?  Face à une eau, source de vie ou vecteurs de maladies, quelle politique sanitaire ?

Comment les crises humanitaires affectent-elles l’accès à l’eau et à l’assainissement des  populations ?

Les situations d’urgence humanitaire, qu’il s’agisse d’un conflit ou d’une catastrophe, sont marquées par de nombreux blessés et des pertes en vies humaines ainsi que d’importants dégâts matériels tels que la destruction de l’habitat et des infrastructures. De plus, ces crises provoquent le plus souvent des déplacements massifs de populations. L’on pense à la Syrie qui compte aujourd’hui, 7,6 millions de déplacés dans le pays, soit plus de 40% de sa population. Parmi eux, l’on recense 4 millions de réfugiés à l’extérieur et 12,2 millions de personnes ayant besoin d’aide dont 4,8 millions situés dans des zones difficiles d’accès. 

Par expérience, nous savons que l’eau et l’assainissement constituent une des toutes premières priorités, si ce n’est la première, pour les populations victimes de ces crises. En effet, l’eau potable est un besoin vital quotidien essentiel à la survie de ces personnes. Il faut apporter l’eau là où elle est absente, comme dans un camp de déplacés, mais aussi l’apporter en plus grande quantité là où il n’y en a  pas suffisamment, comme dans des zones d’accueil habitées et rapidement débordées par l’afflux massif de familles fuyant la crise. Parallèlement, il faut songer à y installer rapidement des toilettes pour faire face à ces concentrations de population. D’autant que l’absence de toilettes et d’assainissement – comme l’absence de gestion des déchets –  est la cause principale de la contamination de l’eau et de la propagation des maladies dites hydriques.  

L’absence d’hygiène a pour conséquence immédiate de souiller l’eau, les ustensiles de cuisine et tout ce qui permet de transporter ou d’utiliser l’eau, comme les jerricans, les seaux, les bassines, les instruments de cuisine,….  Par ailleurs,  le savon reste le moyen le plus efficace pour se laver les mains et prévenir des maladies diarrhéiques, que l’on soit au Soudan du sud, au Myanmar, en RCA ou encore en Afghanistan, des pays où ce produit reste encore une denrée rare.

Les diarrhées et d’autres maladies liées à l’eau insalubre (dysenterie, typhoïde, hépatite, choléra, ou encore la malaria) font alors leur apparition parmi ces populations déjà fragilisées, au risque de provoquer des épidémies. Rappelons que l’eau insalubre tue actuellement chaque année 2,6 millions d’êtres humains dont une majorité d’enfants et d’adolescents.

Quel rôle peut jouer une ONG dans de telles situations ?

Les ONG doivent répondre rapidement aux besoins vitaux des populations en danger. En matière d’eau potable, cela va de techniques simples, adaptées à la zone et efficaces, à des moyens plus complexes, voire sophistiqués, mais durables.

Les moyens varient d’une situation à l’autre : camions citernes dans les cas d’extrême urgence, chlorage de l’eau, stations mobiles de potabilisation, captages de source aménagée, captages et traitement des eaux de surface, forages équipés de pompe à main, ou encore réservoirs d’eau et rampes de robinets. Et quand le contexte le permet, il est possible d’aménager des stations de traitement et des réseaux d’adduction d’eau avec des bornes fontaines ; en organisant la gestion communautaire de la ressource et la maintenance des installations, afin de passer de l’urgence à la reconstruction en sortie de crise.

La panoplie des techniques et moyens est large, diversifiée et adaptée, qu’il s’agisse de zones rurales ou urbaines, de camps de déplacés ou de réfugiés, dans des environnements variés, avec une source d’eau abondante dans certains cas et très rare dans d’autres.

De plus, la coordination opérationnelle des acteurs humanitaires sur chaque terrain de crise est importante pour gagner en complémentarité et en efficacité et apporter une meilleure réponse collective aux besoins des populations. Dans le domaine de l’eau, de l’hygiène et de l’assainissement, comme dans les autres grands domaines des secours,  les ONG se coordonnent dans le cadre des clusters des Nations-Unies, notamment le cluster WASH piloté par l’UNICEF auprès de qui certaines délèguent même des équipes qui réalisent des évaluations pour le compte de tous les intervenants.

Comment les institutions de développement peuvent améliorer l’accès à l’eau et à l’assainissement des populations vivant dans des situations d’urgence humanitaire ?

Le passage de l’urgence à la reconstruction en sortie de crise est un moment majeur et critique où les ONG, les experts et les autorités doivent progresser dans leur rôle pour mieux répondre à l’évolution du contexte et des besoins des populations. L’on pense, par exemple, au retour des populations déplacées chez elles. Le passage des phases d’urgence à celles de la reconstruction, avant la mise en oeuvre des programmes de développement, est encore malheureusement très peu pris en compte et soutenu par les partenaires institutionnels. Dans les contextes de crise, il y a souvent un fossé entre l’urgence et le développement, une étape cruciale souvent oubliée par les bailleurs et tous ceux financent l’aide. 

La sortie de crise est une chance à saisir pour tenter d’apporter une réponse plus structurelle et plus durable aux besoins quotidiens des populations. C’est l’occasion d’accompagner le retour et la réorganisation des services publics, du petit commerce et d’associer les populations dans une gestion communautaire des installations pour les pérenniser et les autonomiser, car l’on sait que l’eau potable relève d’une gouvernance locale.

Finalement, notre mission humanitaire consiste à faire le lien entre la sortie de crise et la réorganisation locale des services essentiels vis-à-vis des populations et de passer ensuite le relais aux  acteurs de développement. 

Parallèlement, nous avons entrepris depuis longtemps un dialogue avec les institutions, pour faciliter le passage d’une phase à l’autre.  En France, ce dialogue est aujourd’hui bien engagé et nous espérons la mise en place d’un dispositif cette année. Une démarche identique est à l’œuvre au niveau de la Commission Européenne, mais les choses avancent trop lentement pour nous les humanitaires de terrain.

Le passage de l’urgence à la reconstruction doit être progressif et éviter une rupture dans la chaîne des réponses. En fait, les programmes de reconstruction font appel à des techniques de développement dans des contextes de sortie de crise qui s’avèrent plus longs, plus structurels et supposent à la fois des évaluations approfondies, l’implication des administrations locales et des populations. Ces programmes de reconstruction nécessitent par ailleurs des budgets plus élevés, des compétences expatriées plus techniques et moins nombreuses mais qui font appel à l’expertise locale.

Enfin, les crises sont souvent complexes tant elles peuvent combiner simultanément dans un même pays des situations d’urgence et de reconstruction. De même, qu’un processus de sortie de crise peut à nouveau basculer dans l’urgence, notamment dans les cas de conflit armé.

Il ne s’agit pas non plus des mêmes partenaires institutionnels : les uns relèvent de l’urgence et les autres des institutions du développement. Ces acteurs  doivent se coordonner et coopérer ensemble pour réussir le passage d’une phase à l’autre. Les humanitaires doivent, dès le départ, envisager cette phase de reconstruction et, au-delà, celle du développement. De leur côté, les développeurs doivent anticiper les risques de rupture pour renforcer dans leurs programmes les capacités de résilience des populations, notamment des plus vulnérables qui seront les premières victimes de la crise.

Matinale (Re)sources « Leau, source de vie ou vecteur de maladies »

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