3 QUESTIONS A RENAUD PIARROUX (Matinale (Re)sources « L’eau, source de vie ou vecteur de maladies ? »)

Si l’eau est naturellement source de vie, l’eau non potable constitue la première cause de mortalité dans le monde et tue chaque année 5 millions de personnes. La lutte contre les maladies liées à l’eau reste un enjeu majeur dans les pays en voie de développement où l’eau véhicule un nombre important de maladies du fait de systèmes d’assainissement inexistants ou défaillants et de problèmes d’approvisionnement en eau potable. Quelles sont les caractéristiques de ce fléau et comment l’endiguer ?  Face à une eau, source de vie ou vecteurs de maladies, quelle politique sanitaire ?

Quelle est l’ampleur des maladies liées à l’eau dans le monde ? Quelles sont les marges de manœuvre pour les maîtriser ou les éradiquer ?

Les maladies liées à l’eau sont très variées. Elles comprennent tout d’abord les maladies acquises par l’ingestion d’eau non potable. C’est le mode de transmission de la plupart des maladies diarrhéiques, de certaines hépatites virales, de la fièvre typhoïde et de certaines infections par des vers parasites. Elles comprennent aussi des maladies liées au manque d’eau rendant impossible les pratiques d’hygiène de base. C’est le cas de nombreuses maladies diarrhéiques, mais aussi beaucoup d’infections cutanées et même des infections oculaires transmises par les mains sales. Il existe aussi des maladies liées à des vers parasites qui pénètrent au travers de la peau lors de baignades dans des eaux douces, ainsi que des maladies transmises par des moustiques utilisant les eaux stagnantes pour pondre et assurer leur descendance (paludisme, dengue, Chikungunya).

A elles seules, les diarrhées infantiles sont la cause de centaines de milliers de décès chaque année dans les pays les plus pauvres. Donner un chiffre plus précis n’a pas beaucoup de sens car les systèmes de santé de ces pays ne sont pas en mesure d’établir correctement les causes des décès des enfants, et encore moins de faire la part des choses entres diverses causes souvent intriquées, comme les diarrhées et la malnutrition. Quoi qu’il en soit, les maladies diarrhéiques sont, avec le paludisme et les infections respiratoires aiguës, l’un des trois grands tueurs d’enfants sur notre planète.

Quelle que soit l’agent infectieux, sa propagation au sein d’une communauté humaine dépend d’abord des comportements individuels et de la manière dont les hommes s’organisent pour vivre ensemble.Les maladies liées à l’eau tirent profit de notre gestion de l’eau. C’est pour cela que pour la plupart, ces maladies sont soit éliminées soit maîtrisées dans les pays les plus avancés. Notons cependant que les diarrhées infantiles existent aussi dans les pays riches car elles sont aussi transmises par contact direct interhumain. Les virus responsables de ces diarrhées profitent d’un autre comportement humain, ici c’est notre propension à nous toucher, nous embrasser, nous câliner. Cependant, du fait d’un meilleur accès aux soins et d’une meilleure qualité de la prise en charge, les décès par diarrhée sont exceptionnels dans les pays riches. Nous pouvons donc continuer les câlins, et c’est tant mieux.

Les marges de manœuvre pour éliminer les maladies liées à l’eau sont donc considérables en théorie. Individuellement, il suffirait de convaincre chaque être humain d’avoir une attitude responsable vis-à-vis de son environnement, de ne jamais déféquer hors de latrines, de ne boire que de l’eau dont il est sûr et de ne manger que des aliments préparés avec une hygiène rigoureuse. Collectivement, il s’agit de garantir à chacun un accès à l’eau potable comprenant une surveillance sans faille des conditions de production et de distribution de l’eau, tant en milieu urbain qu’en milieu rural. En réalité, il faudrait pour cela abolir l’appât du gain et la corruption, le cynisme, la négligence, l’incompétence et finalement, tout ce qui fait de nous, les êtres imparfaits que nous sommes. Compte-tenu de ce qui précède, ces maladies, bien qu’accessibles à des mesures de contrôles, ne vont pas disparaître de sitôt.

En tant que spécialiste de l’épidémiologie du choléra, comment cette maladie apparaît-elle et pourquoi la trouve-t-on encore très présente, notamment en Afrique ?

Le choléra « n’apparaît » pas, tel le monstre du Loch Ness émergeant d’un lac d’Ecosse. Vibrio cholerae, la bactérie responsable de cette maladie, circule, diffusée via l’homme qui le transporte d’un point à l’autre de la planète et le transmet soit directement, soit par l’eau et les aliments souillés par des excrétas. Ce point est important à souligner car, encore maintenant, nombreux sont ceux qui soutiennent que les épidémies de choléra émergent périodiquement à partir d’un réservoir environnemental à la faveur de changements physico-chimique et biologiques. Il n’en est rien et des études très récentes ont montré que les souches responsables des épidémies qui frappent l’humanité depuis des dizaines d’années dérivent toutes d’un seul clone épidémique qui s’est différencié des Vibrio cholerae de l’environnement durant la première moitié du 20ième siècle. Toutes les épidémies de choléra qui frappent l’humanité actuellement sont donc connectées. Localement, elles ne sont pas apparues à partir des bactéries de l’environnement, mais ont été transportées d’un foyer à l’autre par les déplacements de l’homme.

De nos jours, le choléra est volontiers associé à l’Afrique mais il s’agit d’une vision déformée de la réalité. De nombreux pays africains totalement indemnes de cholera depuis des années, comme le Sénégal, la Gambie, la Mauritanie, le Burkina Faso par exemple, sont cités comme des pays endémiques où le choléra serait présent en permanence. Ils restent des pays à risque d’épidémie si par malheur l’agent responsable de la maladie y était importé à nouveau, mais pourquoi fait-on croire qu’ils sont atteints en permanence ? Plus globalement, la tendance en Afrique Subsaharienne est à la surestimation du poids du choléra, un grand nombre d’acteurs de la lutte, depuis les chercheurs jusqu’au humanitaires en passant par les firmes commercialisant les vaccins et les produits de désinfection de l’eau ayant intérêt à amplifier l’importance de cette maladie.

Inversement, divers pays d’Asie du Sud ne déclarent pas leurs cas de choléra (cas du Bengladesh par exemple), ou ne déclarent qu’une fraction minime des cas réels (cas de l’Inde). Alors que les pays africains, qui ont besoin de l’aide internationale, signalent immédiatement la survenue d’épidémies, les nécessités du commerce international et les craintes d’effaroucher les touristes amènent les autorités politiques des pays d’Asie à cacher leurs cas ou à en minimiser le nombre. L’OMS, qui est avant tout l’émanation des gouvernements des pays composant l’ONU, se contente de reproduire les chiffres fournis par ces pays dans ses statistiques, même lorsqu’ils ne sont pas réalistes. Parfois même l’OMS ajoute sa part de confusion lorsque l’origine d’une épidémie devient embarrassante pour l’ONU. Ainsi, Haïti est maintenant considéré comme un pays endémique pour le choléra après avoir été très violement frappé par une épidémie importée lors d’une rotation d’un contingent de Casques bleus affecté à une mission de stabilisation du pays. Or, bien qu’Haïti n’ait jamais été touché par le choléra de toute son histoire, le caractère importé de l’épidémie n’a jamais été indiqué dans les rapports de l’OMS. Haïti est rentré dans la catégorie des pays « naturellement » endémiques pour le choléra.

Finalement, le choléra n’est une maladie « très présente » que dans des zones géographiques relativement circonscrites. Ces zones, principalement situées en Asie, en Afrique et en Haïti se caractérisent par des conditions particulièrement délétères d’accès à l’eau potable. En Afrique, il peut s’agir de populations urbaines qui n’ont pas accès à un réseau, et doivent puiser l’eau dans des lacs et des rivières contaminées. Dans d’autres cas, le réseau d’eau existe, mais il est défectueux, entraînant la contamination de l’eau distribuée par les eaux d’écoulement souillées et la diffusion du choléra aux populations desservies par le réseau. Enfin, il peut s’agir d’un problème d’accès à l’eau potable dans des régions rurales densément peuplées où les allées et venues des populations, combinées parfois à l’insécurité liée à la guerre, font le lit d’une circulation persistante du choléra. Je ne connais pas suffisamment la situation en Asie pour en parler ici.

Le problème de l’accès à l’eau potable devrait être pris à bras le corps. Que constatez-vous sur le terrain ?

Que l’effort fourni en ce sens est certes louable, mais qu’il est insuffisant, inégalement réparti et mal guidé d’un point de vue épidémiologique. La résurgence du choléra depuis les années soixante et sa persistance en ce début du vingtième siècle en est un témoin parmi d’autres. Il existe une course de vitesse entre l’urbanisation galopante des pays en développement et la construction ou l’extension d’infrastructures capables de prendre en charge l’approvisionnement en eau de populations en croissance rapide. Parfois même, les réseaux d’adduction se dégradent et la situation se détériore là où elle était correcte il y a quelques dizaines d’années et de nouveaux foyers de transmission de maladies hydriques font leur apparition. Pour répondre de manière optimale à ce défi considérable, il faudrait disposer d’une information objective de la situation épidémiologique des maladies liées à l’eau, incluant le choléra.

Malheureusement, tant d’intérêts économiques et politiques sont à l’œuvre que les informations disponibles sont généralement biaisées, le but de ceux qui produisent ou diffusent l’information étant principalement de drainer les financements vers des activités précises allant dans le sens de leurs intérêts. Ni la recherche académique qui, bien souvent, tire ses ressources de financements dirigés par des fondations privées aux budgets considérables, ni l’OMS, dont les groupes de travail sont partiellement contrôlés par des intérêts privés, ni mêmes les intervenants humanitaires, de plus en plus sensibles aux conseils des communicants et des lobbyistes, ne sont épargnés par ce phénomène. La santé humaine est un marché, les maladies liées à l’eau, tout particulièrement. C’est donc aux politiques de prendre ce problème à bras le corps, mais sont-ils bien informés et d’ailleurs, sont-ils eux-mêmes indépendants des marchés ?

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