« Redéfinir un nouveau contrat social entre l’Afrique et sa jeunesse »

ENTRETIEN. Avec Panser l’Afrique qui vient !, Hamidou Anne avait ouvert au « Point Afrique » des pistes de réflexion que le contexte actuel appelle à explorer.
Propos recueillis par Malick Diawara

Quel est le rôle de la société civile dans tout ça ? Peut-elle aider à réconcilier ou à lier le monde politique, dont tout le monde se méfie, et les réalités locales ?

Absolument ! Quand on voit aujourd’hui l’importance qu’a prise la société civile ces dernières années, on se rend compte qu’il y a un présent à transformer et un futur à proposer avec elle. Je parlais il y a quelques jours d’un nouveau contrat moral à redéfinir entre le politique, la société civile et le monde économique. Quand on voit des mouvements de la société civile comme Y’en a marre au Sénégal, Le Balai citoyen au Burkina Faso, Filimbi en RD Congo, et d’autres ONG un peu partout, on constate qu’il y a un dynamisme de la société civile, laquelle est à cheval entre le monde politique et le monde de l’économie. Elle a certainement moins de moyens pour faire les choses mais, par contre, elle a plus de marge de manœuvre dans les territoires où les politiques sont absents, dans ces territoires que les services publics ont désertés. Il en est ainsi dans nos campagnes, mais aussi dans nos villes où elle accompagne les populations les plus vulnérables. De fait, cette expérience, cette idée, cette vision de développement endogène devrait être utilisée par les politiques pour proposer de nouvelles politiques publiques.

On dit que l’Afrique est le continent de l’avenir. Quelles sont selon vous les conditions pour que cet avenir ne soit pas un cauchemar ?

D’abord, on dit que l’Afrique est le continent de l’avenir, le continent du futur. C’est un récit souvent repris en Occident que je trouve assez candide. Pourquoi ? Parce qu’on promeut des personnalités, des individualités, des jeunes leaders par-ci par-là sans interroger assez la réalité et le vécu. On ne se projette pas assez dans le corps social de nos pays et des possibilités du futur. Pour preuve, quand on interroge la démographie africaine on sait que d’ici à 2050 la population passera à 2,4 milliards. Une fois cette donne posée, il faut imaginer qu’il faudra nourrir cette population, l’éduquer, la soigner, lui donner un toit, etc. À mon avis, il faut fondamentalement changer de modèle. Le modèle capitaliste, libéral post-Seconde Guerre mondiale a montré ses limites partout, notamment à travers l’impasse climatique, les inégalités sociales, le repli sur soi, la montée des nationalismes qu’on voit en Europe. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’on promeut les mêmes solutions qui ont échoué ailleurs. Or, nous devons redéfinir un nouveau contrat social entre l’Afrique et sa jeunesse, entre les populations africaines elles-mêmes, et faire en sorte que les populations et les élites dialoguent en vue de mettre en place un nouveau modèle ancré sur nos réalités sociales, sur notre contemporanéité. L’idée serait de repenser les imaginaires et de proposer un chemin différent. L’Afrique était à la traîne ces siècles derniers mais, avec le tournant civilisationnel, elle peut redéfinir un nouveau modèle ancré sur l’humain qui soit à même de diriger le tournant civilisationnel du monde.

L’une des particularités de l’économie africaine, c’est l’importance de son secteur informel. Comment faire pour réconcilier ce secteur avec l’univers de l’autre secteur, le formel ?

D’abord, il faudrait interroger les chiffres. Aujourd’hui, plus de 80 % des entreprises au Sénégal, parfois très connues, sont informelles, et le restent souvent parce qu’elles n’ont pas intérêt à se formaliser eu égard à des enjeux de fiscalité et aux failles dans l’environnement des affaires. Nous sommes dans un marché, une société différente avec des pratiques différentes et où on doit vraiment interroger le secteur informel et essayer de travailler avec lui de sorte à intégrer tout ce beau monde dans un même et seul circuit économique.

Au Sénégal, quand on regarde les chiffres : 400 000 emplois formels, pour 100 000 fonctionnaires, 300 000 du secteur privé et tout le reste de la population active est dans le secteur informel. Comment faire pour intégrer tous ces gens-là dans le circuit formel de l’économie ? Est-ce qu’on interroge les modèles que certains ont développés pour conclure que tout n’est pas forcément à considérer dans les schémas classiques de l’économie mondiale ? Est-ce que l’Afrique, à l’aune de sa réalité qui est différente, ne peut pas proposer un modèle différent ? Est-ce qu’on ne peut pas interroger nos économies, notre structuration, notre modèle entrepreneurial, à l’aune de nos réalités et à l’aune des difficultés que nos économies rencontrent ?

À quoi devrait ressembler le modèle idéal africain, étant donné que l’Afrique est impliquée dans les circuits internationaux et souvent par le mauvais côté. Il y a beaucoup de choses en tout cas qui viennent de l’extérieur, or « qui finance commande » !

Aujourd’hui, dans l’enceinte des relations internationales, notamment aux Nations-unies, la formule consacrée est « chaque pays a une voix ». C’est inexact ; toutes les voix ne sont pas égales. La réalité est que le pouvoir est entre les mains des puissances économiques réunies dans leur petit cercle. Face à cette réalité, il faut absolument que l’Afrique fasse émerger des économies fortes afin que les décisions prises ailleurs ne lui soient plus imposées.

Mais la dignité ne se négocie pas. Les pays africains n’ont pas vocation à attendre d’être forts pour imposer leur voix. Observons le Rwanda ou le Ghana, dont les économies ne sont pas forcément puissantes, mais qui ont su prendre une place de leader par leur prise de parole forte sur la notion de développement, sur la relation avec les pays occidentaux et sur la nécessaire redéfinition de la carte des relations internationales.

Mais ce qui fonde en dernier recours mon optimisme est la montée de la dignité chez les jeunes Africains. C’est elle celle qui va enclencher la rupture et la transformation qui vont libérer l’Afrique et lui octroyer un futur désirable.

Source : Le Point

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