3 QUESTIONS A GILBERT HOUNGBO (Matinale (Re)sources « Le Chantier de l’électrification en Afrique »)

Directeur général adjoint pour les programmes extérieurs et les partenariats à l’Organisation International du Travail, ancien Premier ministre du Togo et ancien directeur du PNUD Afrique.

Gilbert Houngbo est membre de (Re)sources.

70% des Africains n’ont pas accès à l’électricité malgré une croissance annuelle de 5%. L’absence d’accès à l’énergie en Afrique freine les possibilités de développement des populations et des territoires en dépit d’un potentiel énergétique, hydraulique, solaire et éolien important. Comment assurer l’électrification de l’Afrique à partir de ses ressources propres et en mobilisant les investissements nécessaires ? Entretien avec Gilbert Fossoun HOUNGBO, directeur général adjoint pour les programmes extérieurs et les partenariats à l’OIT.

Alors que la croissance annuelle moyenne avoisine les 5%, que les ressources énergétiques, fossiles et renouvelables, foisonnent, le continent africain accuse un déficit énergétique préjudiciable à sa population ainsi qu’à son développement économique. Comment expliquer ce paradoxe ?

Plusieurs facteurs peuvent être mentionnés pour expliquer ce paradoxe entre des ressources abondantes et un déficit énergétique important.

Certains de ces facteurs sont endogènes comme l’instabilité de la pluviométrie. D’autres sont liés aux capacités. En effet, la production énergétique se fait à petite échelle en utilisant des technologies souvent dépassées et les pratiques d’approvisionnement et de consommation sont généralement inefficaces.

Il arrive aussi que les concessions soient la résultante de négociations qui ne sont pas toujours entamées et menées dans les conditions les plus optimales.  Car la capacité des pays africains à négocier certains types de contrats peut être  parfois limitée.

Ce paradoxe est également fondamentalement le résultat d’un faisceau de contraintes qui sont au cœur des problématiques de développement.

En effet, développer les infrastructures énergétiques implique des investissements conséquents. Dans beaucoup de pays africains, l’espace fiscal et la capacité d’endettement des pays sont restreints. Les Etats doivent donc souvent recourir à des financements privés pour financer ces investissements alors que le climat des affaires n’y est pas toujours favorable

Une autre contrainte importante est la volonté d’indépendance énergétique des Etats. Les questions des nécessités « techniques » et « économiques » voudraient que certains pays soient en meilleure posture économique s’ils importaient 50% de leurs besoins énergétiques. Cependant, les questions de souveraineté et de sécurité nationales poussent chaque Etat à rechercher la réduction de sa dépendance envers ses voisins. Ces exigences peuvent également expliquer les lenteurs relatives au développement d’infrastructures énergétiques sous régionales.

Précisons cependant que si les ressources énergétiques sont abondantes en Afrique et potentiellement excédentaires, elles sont toutefois inégalement réparties et concentrées dans quelques pays.   Pour le gaz naturel, le continent détient 8% du total mondial et représente environ 6% de la production totale mondiale. Toutefois, plus de 90% de la production est située dans quatre pays: l’Algérie, le Nigeria, l’Egypte et la Libye. Le continent a également des sources considérables de charbon, 6% des réserves mondiales totales qui sont situées principalement en Afrique australe. Enfin, les ressources pétrolières en Afrique sont aussi inégalement réparties: un petit nombre de pays exportateurs nets d’énergie alors que la majorité est importatrice nette de pétrole.

Quel est l’état du financement international sur la question de l’électrification en Afrique ?

288 milliards de dollars seraient nécessaires pour atteindre l’accès universel à l’électricité d’ici 2030 en Afrique. La Banque mondiale estime que depuis le milieu des années 90, les financements extérieurs dans le domaine énergétique en Afrique ont atteint seulement 600 millions de dollars par an environ d’aide publique et un montant similaire en financements privés. Elle estime également que, pour doubler l’accès à l’énergie d’ici 2030, des investissements continus seront nécessaires à des niveaux bien plus élevés qu’actuellement. L’Afrique doit donc désormais passer à l’étape supérieure, cependant les États seuls ne pourront relever le défi.

Pour relever ce défi, la problématique relative au secteur énergétique ne me semble pas foncièrement différente de celle d’autres investissements lourds et à long terme comme l’exploitation minière. Les investisseurs ont besoin de plus d’assurances et de garanties. Dans ce domaine, il faudra plus d’audace de la part de toutes les parties prenantes, Etats, banques, investisseurs privés. 

Afin d’encourager les producteurs privés à investir, un cadre réglementaire et des politiques volontaristes doivent être mises en place.

Les pays doivent aussi se tourner davantage vers la fourniture d’énergie au plan sous régional avec des solutions de relais au plan national. Sur cette problématique, un rôle capital peut être joué par la Banque Africaine de Développement et la Banque mondiale avec notamment l’Agence multilatérale de garantie des investissements.

Quant à l’accès dans les zones rurales, les besoins d’investissement pourraient être couverts par de plus petits producteurs et ainsi se répartir l’ampleur du capital nécessaire. La question du besoin de subventions des prix à la consommation demeure aussi pertinente.

En plus d’inciter l’investissement privé, d’adopter les cadres législatifs et réglementaires nécessaires, l’Etat doit viser à  préserver la défense de l’intérêt général.

In fine, dans un contexte international où plusieurs fonds et investisseurs sont à la recherche d’autres types d’investissements rentables, un contexte international où l’investissement direct étranger en Afrique bénéficie d’un nouvel élan, je pense que la question fondamentale n’est pas celle de la disponibilité des ressources financières. Il s’agit plutôt de la viabilité des investissements et du climat des affaires.

Comment investir dans un contexte souvent politiquement rendu instable par les conflits récurrents ?

Cette situation de fragilité concerne plusieurs sous-régions du continent africain regorgeant de ces ressources énergétiques. Une situation qui malheureusement -dans certains cas- est passée de conjoncturelle à structurelle.

La question de la stabilité sociale et politique peut impacter sur les velléités des investisseurs. Il ne faut donc pas se détourner des défis de l’instabilité politique et des conflits, mais les affronter.

Pour attirer les investisseurs et les entreprises dans ces contextes, un environnement favorable doit être créé. .

Le secteur privé démontre généralement une grande capacité à gérer le risque. Cependant, des mécanismes innovants doivent toutefois être mis en place pour garantir ou diversifier le risque financier des investisseurs. Par exemple, des fonds concessionnels au secteur privé assortis de certaines conditions -si nécessaire- qui viseraient à assurer l’intérêt du projet pour le consommateur. Ces conditions pourraient inclure le plafonnement des tarifs ou encore une entente sur la marge de profit. Les institutions régionales ou sous régionales telles que la Banque africaine de développement peuvent-elles développer ces instruments ?

Un instrument intéressant serait de passer davantage de la notion de « risque souverain national » à celle de « risque souverain supranational » où plusieurs pays se réuniraient pour garantir le même risque. Cette innovation pourrait certainement favoriser l’investissement dans ces pays traversant des périodes de fragilité.  

Enfin, dans ces environnements, les investisseurs ont besoin d’être davantage guidés. La Banque africaine de développement et/ou d’autres institutions financières de développement pourront-elles assurer davantage le rôle de « leader » au niveau des regroupements d’investisseurs ?

Matinale (Re)sources « Le Chantier de l’électrification en Afrique »

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