COMMENT ASSOCIER LES HABITANTS DES QUARTIERS INFORMELS A L’ACCES AUX SERVICES ESSENTIELS ? (Collège des Bernardins, Paris)

Plus de 90% de la croissance urbaine est aujourd’hui  concentrée dans les pays en développement. Un tiers de la population des pays les plus vulnérables vit aujourd’hui dans des conditions d’habitat très précaire, ce qui exerce une forte pression sur l’accès aux services essentiels. Dans ces territoires, comment les communautés locales, au premier rang desquelles les habitants eux-mêmes, réinventent-ils l’espace urbain et s’organisent-ils pour pallier l’insuffisance d’infrastructures de base ? Comment travailler avec toutes les parties prenantes pour mettre en place des collaborations gagnantes ?

Débat avec Laure Criqui, Chercheure en développement urbain international à l’IDDRI et présidente du réseau Projection et Philippe de Roux, co-fondateur de l’ONG Eau&Vie.

Animé par Guillaume Josse, urbaniste et géographe et directeur du groupe Huit 

Retrouvez le PodCast de l’émission RFI « 7 milliards de Voisins » qui a repris la thématique de la Matinale dans son émission du 21 juin

L’essentiel du débat

Qu’est-ce qu’un quartier précaire ?

  • Quelle que soit leur dénomination, les « quartiers précaires », « quartiers informels », slum, taudis,… désignent les quartiers échappant aux règles classiques de production de la ville que l’on trouve dans les pays du Nord.

Penser autrement l’intégration des quartiers précaires et des services essentiels dans les villes en développement

  • Aujourd’hui s’impose une urbanisation qui n’intègre pas les cadres actuels de la planification, ce qui suppose de changer les modes d’action publique.
  • La variété de bidonvilles ne permet pas de les penser sur le même plan. Il y a des quartiers où la trame urbaine est régulière et où tout est construit en dur, sur trois étages. Nous y avons sans doute potentiellement l’avenir de nos villes dans le monde.
  • Il faut parvenir à changer la culture et à démontrer l’enjeu du bidonville, notamment du fait que 43 % de la croissance urbaine des 30 prochaines années se produira dans des bidonvilles, et que cette croissance peut être positive et inclusive.
  • Pour changer d’échelle, il convient de changer également de regard. Il faut peut-être arrêter de poser la question telle qu’elle est posée, de façon très légitime : comment intégrer les habitants ? Dans certaines villes, en effet, 90 % des personnes constituent des quartiers informels.
  • L’urbanisme n’est pas l’avenir du bidonville. Il faut prôner un urbanisme de la réalité, à savoir ce qui se passe réellement sur le terrain.
  • Les bidonvilles ont beaucoup à apprendre à l’urbanisme, ne serait-ce que le côté incrémental. Faut-il commencer par planifier, lotir, équiper et construire et enfin occuper une ville alors que les bidonvilles font l’inverse ? Ils occupent les lieux, construisent, lotissent, puis aménagent et cela devient en fin de compte une ville.

L’accès aux services essentiel, un premier pas vers la reconnaissance sociale

Mettre des réseaux dans les quartiers actionne souvent le premier pas vers une reconnaissance mais également le droit de ces personnes habitant ces quartiers de bénéficier d’un jour à l’autre de la valeur de leur foncier. Ce point est, en général, assez mal accepté.

Limites de la borne fontaine

  • La borne fontaine est une solution temporaire qui fonctionne. L’objectif de Eau&Vie est de remédier à l’urgence et d’introduire l’eau dans ces quartiers qui se développent. Mais la borne fontaine ne résouds pas la question du stockage de l’eau, un véritable problème dans les pays chauds et le temps perdu, en particulier pour les femmes et les enfants qui parcourent parfois des kilomètres pour se rendre à la borne fontaine.
  • Le problème de la borne fontaine, gérée de manière communautaire, entraîne des problèmes de maintenance et de paiement de factures et des dettes extrêmement importantes vis-à-vis de l’opérateur classique.

L’action de l’ONG Eau&Vie : un travail d’intégration progressive des quartiers au réseau général

  • En collectant chaque jour, puis deux fois par semaine, puis toutes les semaines et enfin tous les mois, une discipline et un sens du contrat se mettent en place. Lorsque les clients sont capables d’être des clients classiques de l’opérateur, Eau&Vie remet le réseau et les clients entre les mains de l’opérateur. Cette idée va plus loin que la borne fontaine : de l’eau courante à domicile et éviter l’eau stockée.

Bienfaits de la participation communautaire

  • La participation des populations peut être un facteur d’inclusion sociale et d’intégration à la ville et à l’espace, mais aussi à son fonctionnement politique, en particulier si cette participation s’accompagne d’un renforcement de capacités en termes de gestion des réseaux, c’est-à-dire de développement de compétences.
  • Travailler avec ces personnes permet non seulement plus d’efficacité mais aussi de donner aux opérateurs et aux pouvoirs publics la possibilité d’un climat de paix sociale à travers la mise en relation avec les habitants.
  • La concertation, ou la prise en compte des communautés dans cette participation, représente une étape vers une normalisation des rapports avec les autorités publiques. Cette normalisation, qu’elle soit appréciable ou pas, signifie probablement l’intégration dans le système fiscal.

Limites de la participation communautaire

  • Ces populations occupent un voire deux emplois avec des temps de transport conséquents. Rentrer le soir pour creuser les tranchées, participer à des réunions d’information, à des sessions de formation sur l’éducation à l’hygiène, etc., peut s’avérer assez lourd.
  • Parallèlement à l’implication des habitants, le processus de leur participation doit être institutionnalisé. De leur côté, les pouvoirs publics ou les opérateurs doivent reconnaître la présence de ces collectifs et leur statut de contre-pouvoirs potentiels.
  • Il faut veiller à ce que cela ne conduise pas non plus à une forme de désengagement de l’État, qui pourrait déléguer la réalisation de certains travaux aux populations.

La participation soulève d’autres problèmes : des modes de participation, de mobilisation et d’organisation préexistants avec des personnes plus puissantes que d’autres, des intérêts mis en cause et des conflits internes. Rien ne garantit l’harmonie et l’équité de la communauté.

Lire les actes de la Matinale

VIDÉOS DE L’ ÉVÈNEMENT

Guillaume Josse, urbaniste et directeur du Groupe Huit

Laure Criqui, chercheure en développement urbain à l’IDDRI et présidente du réseau Projection

Philippe de Roux, co-fondateur de l’ONG Eau&Vie

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