Emma Haziza : « Comment va-t-on faire dans 15 ans pour alimenter le monde », sans les réserves d’eau « pillées » ?

François Gemenne, spécialiste de la gouvernance du climat et des migrations, directeur de l’Observatoire Hugo à l’université de Liège, membre du Giec, et Emma Haziza, hydrologue et spécialiste de l’adaptation de nos sociétés au changement climatique, décryptent le dernier rapport du GIEC.

Avec

    • François Gemenne Spécialiste de la gouvernance du climat et des migrations, directeur de l’Observatoire Hugo à l’université de Liège, enseignant à Sciences-Po et à la Sorbonne
    • Emma Haziza Hydrologue, fondatrice et présidente de Mayane

Lundi 21 mars, le rapport du GIEC a publié son dernier rapport, conçu comme « un guide de survie pour l’humanité« , à destination des dirigeants.

« C’est un rapport qui met les décideurs face à leurs responsabilités. Nous avons absolument toutes les connaissances et toutes les technologies qui nous permettraient de limiter le changement climatique et d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris« , explique François Gemenne. « Mais malgré tout, nous sommes encore sur une trajectoire qui nous emmène vers une hausse de 3,2 degrés en moyenne d’ici la fin du siècle, c’est-à-dire une hausse de 4 degrés en France. Nous avons les moyens d’y arriver, ce n’est pas un défaut de technologie mais un défaut de volonté« , insiste-t-il. « On arrive au bout de ce que la science peut livrer aux décideursNous avons livré aux décideurs tous les éléments dont ils ont besoin pour décider, maintenant c’est la responsabilité de la société de faire ou ne pas faire. »

« On est sur le point de vivre une crise imminente de l’eau »

« On est sur le point de vivre une crise imminente de l’eau. On a actuellement à l’échelle planétaire, 19 points dans lesquels on a pillé l’intégralité de nos nappes phréatiques« , reprend Emma Haziza, rappelant que pendant ce temps les réserves d’eau ne se refont pas, elles « chutent« . Ces points où les nappes phréatiques ne sont plus sont principalement dans la péninsule arabique, en Inde, en Chine, dans les grandes pleines centrales d’Amérique du Nord, là où des aliments sont produits grâce à cette surexploitation de l’eau. « Comment va-t-on faire dans 10-15 ans pour alimenter le monde avec ces produits alors qu’ils ne pourront plus du tout s’appuyer sur ces réserves ?« , interroge-t-elle.

Une urgence transversale encore traitée de manière différenciée

« Le climat ce n’est pas juste un problème d’environnement, ce n’est pas juste un petit jouet des scientifiques que les politiques seraient en train de casser. Tous les grands enjeux politiques, économiques, sociaux qui vont traverser le XXIème siècle vont être transfigurés par la question du changement climatique« , poursuit François Gemenne.

Selon le scientifique, la prise en compte de l’urgence climatique « ne change pas du tout » dans la tête des dirigeants. 85% des Français se disent tracassés par la question du changement climatique. « Mais pour autant, les politiques ont toujours tendance à considérer ces sujets indépendamment les uns des autres. Les questions d’environnement sont toujours considérées comme des sujets un peu à part, qu’on pourrait résoudre par des politiques techniques ou technologiques« .

« Ce sont les lobbys de l’agro-chimie qui ont le pouvoir »

« La plupart de nos gouvernements dans le monde n’ont plus le pouvoir« , analyse Emma Haziza. « Ce sont les ministères de l’agriculture qui ont le pouvoir et en réalité ce sont les lobbys mondiaux de l’agro-chimie. » Elle cite les chiffres sortis à la conférence des Nations Unies : « 700 milliards de dollars de subventions sont fournis par tous les gouvernements du monde pour la surutilisation de toutes les exploitations agricoles sans aucune contrepartie sur la qualité« . « On ferme les yeux sur les pollueurs, il va falloir se poser des questions. En France, 56% de nos eaux de surface et 33% de nos eaux souterraines ne sont pas dans un bon état« , ajoute-elle.

« On peut tous aujourd’hui faire massivement des économies d’eau »

« On peut tous aujourd’hui faire massivement des économies d’eau« , déclare encore Emma Haziza. Le problème en France, c’est que « l’eau paye l’eau« . « Ce sont les factures d’eau qui payent le fait de rénover l’intégralité de nos réseaux. On n’a pas tendance à vouloir inciter les gens à diminuer leur consommation, parce que ça va diminuer de fait leurs factures et on n’aura plus les moyens pour alimenter et remettre à jour ces réseaux« .

Concernant le réchauffement de planète, « nous allons continuer à battre records de chaleur sur records de chaleur« , insiste François Gemenne. « Parfois on n’a l’impression que c’est un problème binaire, alors que c’est un problème graduel. Chaque dixième de degré va faire une énorme différence ».

Concrètement, peut-on encore agir ? Est-il déjà trop tard ? « Il ne sera jamais trop tard pour agir, mais on n’a déjà plus le temps. Plus nous allons tarder à agir, plus la courbe des émissions va s’emballer. Plus les impacts du changement climatique vont couter très cher et plus nous risquons d’atteindre des seuils de rupture, au point qu’on ne pourra plus faire grand chose pour rattraper le coup« .

Lire / Écouter l’entretien sur le site de radiofrance.fr

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