SYNTHÈSE DE LA MATINALE « LES TECHNOLOGIES MOBILES ET NUMÉRIQUES POUR UN MEILLEUR ACCÈS À L’EAU ET À L’ASSAINISSEMENT DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT »

21/09/2017 – Collège des Bernardins, 20 rue de Poissy 75005

En quelques années, l’explosion des téléphones mobiles et du numérique dans les pays en développement a vu l’adoption de nombreuses applications dans le secteur de l’eau et de l’assainissement : localisation et qualification des points d’eau, usage des drones, capteurs connectés, pilotage des services d’eau et d’assainissement, compteurs communicants, paiement des services par téléphone mobile… Ces technologies, au-delà de leur fonction de simplification et d’amélioration de la performance des services existants, peuvent être un levier pour l’accès des populations à l’eau, l’hygiène et l’assainissement. 

De nombreuses questions subsistent quant au potentiel de ces applications numériques vis-à-vis de l’atteinte de l’ODD6. Comment lever les freins du passage à l’échelle qui condamnent parfois certaines initiatives à rester des démonstrateurs ? Quel modèle économique durable autour de ces innovations ? Comment organiser la gouvernance, la participation citoyenne et la protection des données autour de ces nouveaux services ? 

Débat avec :

Caroline FIGUÈRES est consultante indépendante dans le domaine des TICs, de l’eau et du renforcement des capacités humaines. Elle est ingénieure sanitaire de formation (Ecole Nationale du Génie de l’Eau et de l’Environnement de Strasbourg – ENGEES). Elle a acquis une grande expérience dans les pays en voie de développement en travaillant en particulier dans les secteurs de l’eau et de l’environnement pour des bureaux d’ingénieurs conseil en France et aux Pays-Bas puis pour un organisme international de formation dans le domaine de l‘Eau (UNESCO-IHE). De janvier 2008 à janvier 2015, elle était directrice de IICD (Institut International pour la Communication et le Développement), organisation non gouvernementale spécialisée dans les technologies d’information et de communication (TICs) pour le développement, basée à La Haye (Pays-Bas) et active pendant 20 ans en Afrique et en Amérique latine. Les partenaires nationaux de IICD, membres du réseau IICD-Next continuent à développer des solutions TICS durables et adaptées aux besoins des utilisateurs de différents secteurs (eau, agriculture, changements climatiques, santé, éducation).

Mouhamad Fadel NDAW est spécialiste eau et assainissement à la Banque Mondiale en Egypte, en charge d’un projet d’assainissement des eaux usées dans le Delta du Nil. Il a rejoint le bureau du Burkina Faso de la Banque Mondiale en 2012 où il a coordonné le travail en Afrique de l’Ouest du Programme Eau&Assainissement sur l’amélioration de l’accès aux services d’approvisionnement en eau dans les zones rurales et les petites villes, avec un accent particulier sur la participation du secteur privé national. Dans ce cadre il a réalisé deux études globales sur la valorisation des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) dans la gestion des services d’eau et d’assainissement en Afrique et sur la participation du secteur privé dans la fourniture des services d’eau et d’assainissement dans les villes secondaires. Mouhamad Fadel Ndaw est surtout connu pour le rôle qu’il a joué pendant 15 ans (1996-2011) au Sénégal comme coordonnateur de la réforme du secteur de l’eau en milieu urbain et du Programme Eau et Assainissement du Millénaire. Il a ensuite rejoint l’Association Africaine de l’Eau en tant que coordinateur du Partenariat des Opérateurs de l’Eau en Afrique (WOP Africa), un programme basé à Johannesburg. Il est titulaire d’un Master de l’Ecole Nationale du Génie de l’Eau et de l’Environnement de Strasbourg (ENGEES)

Modératrice :

Martine VULLIERME est directrice adjointe Veolia Afrique Moyen-Orient et secrétaire générale du think tank (Re)sources. Elle a débuté sa carrière en tant que chercheur en mathématiques appliquées et a été chercheur invité à l’université de Stanford en Californie. Elle a ensuite rejoint l’entreprise Veolia Eau où elle a occupé à la fois des fonctions opérationnelles et fonctionnelles : directrice adjointe d’un bureau d’études, directrice d’une usine d’eau potable, directrice recrutement et mobilité des cadres, directrice adjointe du département des relations contractuelles puis directrice technique adjointe. En Septembre 2010, elle est devenue directrice des risques de Veolia puis a occupé, à partir de 2012, le poste de directrice marketing avant de devenir la directrice adjointe de la zone Afrique Moyen-Orient de Veolia.

L’essentiel du débat 

Entre 3 et 4 milliards de personnes n’ont pas accès à une eau potable dans le monde et 2,4 milliards d’êtres humains manquent d’installations sanitaires de base, tels que des toilettes ou des latrines. L’eau et l’assainissement sont pourtant deux services indispensables pour vivre dignement. De nombreux projets dans ces domaines rencontrent le succès, mais le passage à l’échelle n’est pas encore au rendez-vous et l’atteinte de l’objectif de développement durable n° 6 prend du retard. Le digital sera-t-il un levier ?

Quel rôle pour le digital dans le secteur de l’eau ?

L’apport du digital dans le secteur de l’eau semble parfois moins évident qu’il ne l’est dans le secteur énergétique. Cela vient sans doute du fait que, lorsqu’il est question de technologies, l’on pense davantage aux nouvelles techniques qu’aux nouveaux usages. Or, c’est surtout parce qu’il fait évoluer les usages et améliore le partage des connaissances que le digital peut devenir un levier de développement dans le domaine de l’accès à l’eau. Il facilite la coordination des projets, par exemple en permettant de reconstituer des plans de réseaux quand l’administration est absente ou lointaine (surtout en zone rurale). Il sert aussi à améliorer la connaissance de la ressource : des applications mobiles informent sur la qualité et le débit des points d’eau, des capteurs connectés sont utilisés pour mesurer la contamination des eaux par les bactéries. Autant d’applications qui permettent d’améliorer et de sécuriser la gestion journalière de la ressource. D’autant que le plus souvent, les usagers eux-mêmes peuvent s’emparer de ces nouveaux outils après une formation rapide.

Connecter utilisateurs et fournisseurs

82 % des Africains ont un téléphone mobile. La technologie est mûre et ouvre à présent des perspectives de grande envergure en matière de développement des usages. Les applications qui améliorent l’expérience de l’utilisateur des services d’eau et d’assainissement sont de plus en plus nombreuses, notamment grâce à la mise en relation entre usagers et fournisseurs de services. Ainsi, Next Drop en Inde a mis en place un système d’informations sur le fonctionnement du réseau d’eau qui a permis de réduire des temps d’attente  et le nombre de journées de travail perdues à attendre l’arrivée de l’eau qui pouvaient atteindre de 20 à 40 heures pour une famille. Au Kenya, la plateforme Majivoice, mise en place avec l’appui de la Banque Mondiale, permet aux usagers d’informer les sociétés de distribution d’eau sur les problèmes qu’ils rencontrent et de suivre le statut de leur réclamation en temps réel.  Les paiements mobiles se généralisent en Afrique et constituent une opportunité considérable pour le secteur de l’eau. Au Kenya, Kiamumbi Water (KWT, « Kiamumbi Water Trust ») a commencé à utiliser M-Pesa comme système de paiement. En offrant la possibilité aux abonnés  de régler leurs factures d’eau depuis leur téléphone mobile, ce système permet un gain de temps substantiel et apporte la sécurité dans les transactions financières. Chaque système, à sa manière, redonne du pouvoir à l’utilisateur. Mettre la communauté des usagers au cœur du processus d’innovation est donc un enjeu essentiel lors de la conception des projets.

Innovation technique et innovation sociale

Développer une offre adaptée demande une analyse précise des besoins réels. C’est en les formulant en partenariat avec les bénéficiaires que l’on fait d’eux de véritables porteurs du projet et qu’ils s’en empareront. Trop de projets de développement sont pensés hors du contexte local. Par exemple, une plateforme de gestion des files d’attente aux points d’eau dans un quartier précaire n’aura aucun impact sur la santé publique si le facteur qualité de l’eau n’est pas pris en compte. Cela donnerait lieu à une application qui n’informe que sur le temps d’attente le plus court. Or, les habitants savent (ou non) qu’il est parfois plus intéressant d’attendre ailleurs pour bénéficier d’une eau de meilleure qualité. Appliquer le processus de l’innovation sociale avant la mise en œuvre de l’innovation technique permet d’éviter le montage de projets en inadéquation avec les besoins. Une phase test, sert ensuite à ajuster le projet aux usages et au contexte avant de le développer à plus grande échelle. Un même service évoluera alors différemment selon les populations qui s’en servent et le contexte dans lequel elles le font. La modification du système par les usages ouvre alors un nouveau cycle innovant.

Du projet pilote au programme national

Si le numérique permet d’améliorer l’accès aux services d’eau et d’assainissement et de remettre l’utilisateur/trice au centre des projets, le passage à l’échelle de projets pilotes est loin d’être la norme. Certains projets pilotes n’en ont pas le potentiel (car non conçus dans cette perspective) même facilités par une bonne gouvernance, une régulation par les pouvoirs publics et des financements adaptés. Enfin, le digital sert à éclairer la prise de décisions concernant l’allocation des ressources. Instaurer un dialogue multi-sectoriel est essentiel pour harmoniser les interventions et trouver un consensus national sur les indicateurs à prendre en compte. L’État doit jouer pleinement son rôle dans l’écosystème de l’eau (de la ressource à ses utilisations) pour appuyer un secteur qui peine à se développer, faute de modèle économique rentable. La question du financement devient alors centrale : passée la phase de développement financée sur projet, comment pérenniser le système et le maintenir en état dans des pays aux moyens budgétaires limités ? Quant aux parties prenantes locales, elles doivent être formées aux outils, et notamment à l’utilisation et au partage des données. Les aspects de protection des données individuelles ne doivent pas être sous-estimés.

Quel rôle pour le secteur privé ?

Traditionnellement, l’eau et l’assainissement attirent peu le secteur privé et sont le cœur de métier de sociétés de distribution souvent monopolistiques et en partie (voire intégralement) publiques. Pourtant, les possibilités d’accroisssement de productivité et de revenus dus au digital sont dans certains cas importants. D’autre part, le fort potentiel du marché en matière de données des abonnés conduit les grands acteurs du numérique à s’y intéresser. La question se pose alors de savoir si les innovations pourront se faire en open source et open data et être ainsi partagées et améliorées par et pour l’ensemble des acteurs, ou si une promotion privée basée sur l’asymétrie de l’information prendra le dessus.

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VIDÉOS DE L’ÉVÈNEMENT

Intervenants de la Matinale sur le digital et l’accès à l’eau et à l’assainissement1

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