SYNTHÈSE DU DÉBAT (RE)SOURCES AU FORUM CONVERGENCES 2017

04/09/2017 > 05/09/2017 – Palais Brongniart, Paris

(Re)sources a participé au forum Convergences le 4 septembre 2017 et animé une session plénière de 11h30 à 13h00 dans le Petit Auditorium sur la thématique « l’innovation digitale peut-elle permettre d’atteindre l’accès à tous aux services essentiels d’ici 2030 » avec : 

  • Sanjeev Rao, entrepreneur social, membre de (Re)sources
  • Guillaume Josse, Directeur général, Groupe Huit, membre de (Re)sources
  • Caroline De Frontigny, Co-fondatrice, UpOwa
  • Mathilde Martin-Moreau du cabinet de conseils Azao 
  • François Vince, référent eau & assainissement, AFD

SYNTHÈSE DES ÉCHANGES

Trois à quatre milliards de personnes dans le monde n’ont pas accès aux services essentiels : alimentation, eau, assainissement, énergie… Les 17 Objectifs de développement durable (ODD) fixés par la communauté internationale en 2015 ont notamment pour objectif d’offrir d’ici 2030 un accès universel à ces services de base. Mais la marche est haute. L’intégration du numérique et des innovations digitales dans les projets de développement pourrait-elle provoquer un effet de levier suffisant pour en démultiplier les impacts ?

Le numérique pour accéder aux services

En Afrique, 600 millions de personnes vivent sans électricité. L’un des freins au développement de l’accès à l’électricité, surtout dans les zones rurales, est la faiblesse des revenus des populations qui ne peuvent pas prendre le risque financier d’acheter comptant un kit solaire pour subvenir à leurs besoins basiques. La révolution du mobile banking leur fournit une solution de financement simple et adaptée, le système pay-as-you-go. Grâce à leur mobile et au service bancaire de leur opérateur téléphonique, les utilisateurs paient leur accès à l’électricité selon leurs besoins et leurs moyens. La start-up franco-camerounaise UpOwa équipe des familles de kits solaires qu’elles activent via un système de paiement mobile à la demande lorsqu’elles disposent des fonds suffisants pour payer l’électricité. Les technologies actuelles permettent aussi à UpOwa de décentraliser et de dématérialiser la gestion de ses quelque 1 000 clients et de son parc d’équipements. Pour Caroline Frontigny, cofondatrice de UpOwa, le digital est essentiel dans le déploiement de solutions d’accès à l’électricité en Afrique et les start-ups françaises ont une place à prendre pour relever ce défi du xxie siècle.

Le numérique pour structurer les acteurs

On pourrait penser que le développement de l’accès à l’eau répond à des problématiques similaires à celles de l’électricité. Pourtant, selon François Vince, expert à l’AFD, les nouvelles technologies ne sont pas intégrées à ces deux secteurs de façon comparable. Contrairement à ce qui existe en matière de fourniture d’électricité, la révolution digitale n’a donné naissance qu’à peu de solutions numériques permettant d’améliorer l’accès au service de l’eau. Le taux de pénétration du paiement mobile par exemple est d’environ 1 % dans le secteur, soit quasiment nul. Peut-être est-ce en partie imputable à une propension à payer moindre que pour l’électricité. Quoi qu’il en soit, les solutions numériques existantes sont plutôt orientées vers l’organisation du secteur. Un des besoins identifiés par François Vince est l’analyse des données collectées pour améliorer rapidement l’efficience et l’organisation des services d’eau et d’assainissement. Et cela passe avant tout par la formation des personnels des opérateurs : il ne faut pas toujours chercher une solution disruptive, mais surtout veiller à déployer les solutions existantes qui peuvent faire l’objet de gains de productivité très importants. Quant aux applications d’e-gouvernance qui relèvent de l’open data, elles pourraient contribuer à l’évolution sur le long terme ce secteur à fort enjeu politique, justement en le dépolitisant.

Le numérique pour optimiser les services

Des solutions numériques sont également développées au sein du secteur informel. L’intégration du numérique dans ces activités permet d’abord d’en analyser l’organisation. Contrairement aux idées reçues, l’économie informelle est loin d’être anarchique. L’étude des transports à Nairobi ou de la collecte des déchets au Brésil, activités majoritairement informelles, révèle des stratégies d’acteurs tout à fait rationnelles. Pour Mathilde Martin Moreau, consultante Business inclusif du cabinet Azao, il faut se garder de penser que les nouvelles technologies vont révolutionner un secteur informel déjà très organisé en réalité. Dans les pays émergents, plus de 50 % des déchets recyclés le sont par des travailleurs informels. Les plateformes comme I Got Garbage mise en place à Bengaluru (Inde) permettent non pas de transformer l’activité de ces collecteurs, mais de l’optimiser. Le numérique ne crée pas de nouveaux usages mais équilibre le marché existant en mettant en relation travailleurs et usagers. Les outils digitaux d’intermédiation relient toute la chaîne de valeur, de la collecte à la revalorisation. Toutefois, Mathilde Martin Moreau rappelle que l’amélioration réelle des conditions de travail et d’existence des collecteurs informels de déchets ne sera possible que grâce à la volonté et à l’implication des pouvoirs publics.

Le numérique pour comprendre le réel

En réalité, l’utilisation du digital permet avant tout de mieux comprendre le réel et de l’objectiver avant de le transformer. Guillaume Josse, directeur du Groupe Huit, a mené un projet de recherche pilote utilisant les données mobiles des habitants de Dakar pour en déduire leurs déplacements domicile-travail. Ces données sur les usages sont très complètes et fiables, contrairement à celles que l’on pourrait extraire d’un sondage réalisé auprès d’un échantillon d’usagers. Leur analyse permet d’identifier les besoins de structuration du réseau de transports et des infrastructures routières. Le digital peut alors devenir un outil d’aide à la décision en matière d’infrastructures ou d’aménagements urbains. Bien sûr, pour une question évidente d’éthique, ce type de projets n’est envisageable que s’il existe un système de protection des libertés individuelles comme la CNIL. Mais la principale limite à l’utilisation de données comme celles que collectent les opérateurs téléphoniques est la compétence technique de l’administration. Guillaume Josse constate que les collectivités du Sud sont rarement en mesure de conduire de tels projets pourtant peu coûteux à mettre en place. Pour lui, l’outil numérique seul est inutile : les collectivités locales ont un fort besoin d’accompagnement et de formation à long terme pour apprendre à traiter les données collectées et prendre des décisions éclairées.

Les quatre intervenants, chacun spécialiste de secteurs différents, s’accordent à dire que les innovations digitales peuvent améliorer, directement ou indirectement, l’accès aux services essentiels, et qu’elles doivent être intégrées aux stratégies de développement. Toutefois, ils reconnaissent que l’innovation digitale n’aura de réels effets de levier sur le développement que si populations bénéficiaires et pouvoirs publics se l’approprient, s’y forment, voire participent à son élaboration.

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